Droit

Huissiers de justice : bilan 2020 et perspectives 2021

«Repenser et impulser collectivement une profession innovante », tel était le thème de la 36e édition des Journées de Paris, la rencontre annuelle des huissiers de justice, qui s’est tenue le 21 décembre dernier. L’occasion pour la Chambre nationale des commissaires de justice-section huissiers de justice de faire le point sur les enjeux et les perspectives de la profession.

Patrick Sannino, président de la Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ).
Patrick Sannino, président de la Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ).

Cette année 2020, plus que jamais, le président de la Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ), Patrick Sannino, a invité les huissiers de justice à « se projeter dans l’avenir et envisager l’année 2021 comme celle d’une renaissance », car « si nous avons cette année éprouvé notre résistance face aux épreuves, nous avons tous besoin de nous projeter dans un futur porteur d’espoir ». Organisée en visioconférence, l’édition 2020 des Journées de Paris s’est ainsi penchée sur l’avenir des activités traditionnelles des huissiers que sont la signification, l’exécution et le recouvrement (activités réservées) et leurs activités de constat, ainsi que sur celles accessoires et nouvelles que sont la médiation et l’administration d’immeubles. Les différentes commissions de la CNCJ ont également présenté l’avancée de leurs réflexions sur la digitalisation des pratiques professionnelles et sur plusieurs sujets liés au mouvement de libéralisation et dérégulation des professions réglementées, tels que le maillage territorial, la déontologie et la discipline. « Des sujets 100% huissiers de justice, 100% futurs commissaires de justice », a lancé Patrick Sannino, lui-même ancien président de la Chambre nationale des huissiers de justice.

Huissiers futurs commissaires de justice

Le président de la CNCJ a présenté un état des lieux des différents chantiers lancés par l’institution depuis l’installation de son bureau, composé de trois huissiers de justice et de trois commissaires-priseurs judiciaires. Objectif pour les deux professions : être prêtes pour la naissance du nouveau titre et du nouveau statut de commissaire de justice, le 1er juillet 2022, et anticiper la disparition des titres d’huissier et de commissaire-priseur de justice, en 2026. Dans le cadre de ces travaux, « nous avons pu apprendre à nous connaître », a-t-il déclaré. « Nos chantiers sont nombreux et peuvent susciter parfois quelques émois selon que l’enjeu est élevé, mais nous avons su par-dessus tout créer un collectif. »

Le tout premier chantier est celui de la formation : organiser le déploiement rapide de la formation passerelle vers la nouvelle profession et élaborer le contenu de la formation initiale, au sein du nouvel Institut national des commissaires de justice. Or, « depuis le début de l’année 2019, près de 2 500 huissiers de justice et près de 370 commissaires-priseurs judiciaires, sur 410, ont entamé ou achevé leur formation passerelle ». Et 300 candidats se sont présentés au tout premier examen d’entrée à l’Institut. Les épreuves écrites ont eu lieu fin 2020, les épreuves orales se tiendront début 2021, et les premiers diplômés le seront au premier semestre 2023.

Décrets compétences et gouvernance

Parmi les chantiers de 2021 figurent le décret sur les compétences des commissaires de justice, dont les grandes lignes ont été fixées par une ordonnance de 2016 et sur lequel les deux professions travaillent en lien avec la Chancellerie, ainsi que le décret sur la future gouvernance de la nouvelle profession. Deux chantiers importants et sensibles. « Nous mettons toutes nos idées ensemble pour voir ce qu’il sera possible de proposer à la Chancellerie dans les prochains mois, nous voudrions être d’accord sur certains points clés », a expliqué Agnès Carlier, vice-présidente de la CNCJ et représentante des commissaires-priseurs judiciaires. « Notre réussite commune sur le chantier de la formation nous permet d’aborder les chantiers à venir avec une certaine sérénité » et « nous sommes confiants dans notre capacité à porter ensemble auprès de la Chancellerie une proposition finale pour le décret gouvernance », a ajouté Patrick Sannino. Les autres chantiers en cours portent notamment sur la déontologie et la discipline.

Carte de libre installation

Le président de la CNCJ a dressé plusieurs requêtes au ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, qui, lors de cette 36e Journée de Paris, intervenait pour la première fois devant la profession. La première demande vise l’article 31 de la loi de Financement de la sécurité sociale, qui prévoit que les frais de justice pour les procédures de recouvrement soient « désormais payés en bout de chaîne » : une disposition qui « semble attentatoire aux intérêts des huissiers de justice en charge du recouvrement », a pointé Patrick Sannino. « (...) soyez assurés que je ferai le maximum auprès des ministres concernés pour que soit garanti le paiement des huissiers en charge des opérations de recouvrement des cotisations et contributions sociales », a répondu le garde des Sceaux.

Pour ce qui est de la révision périodique de la carte des créations d’offices, pour laquelle la profession a demandé et obtenu que l’Autorité de la concurrence émette un nouvel avis, prenant en compte l’impact de la crise sanitaire, « le gouvernement sera vigilant à l’équilibre économique de votre profession dans ce contexte », a-t-il assuré.

Acteurs de la transformation numérique de la justice

Interpellé sur plusieurs sujets concernant la transformation numérique de la justice, le garde des Sceaux a affirmé la nécessité « de poursuivre la réflexion engagée sur la dématérialisation des ventes judiciaires, non seulement pour permettre les enchères à distance, mais aussi les ventes en ligne » et « de développer les services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage, tout en s’assurant qu’ils respectent un certain nombre de garanties » par le biais d’une certification.

Sur le volet pénal, une expérimentation de la plateforme NotiDoc est actuellement en cours, mais « la piste de la signification par voie électronique, qui nécessite une modification normative, doit être encore expertisée de manière profonde ». Et « la perspective de créer une juridiction nationale des injonctions de payer en septembre 2021 me semble irréalisable, et nous souhaitons, par conséquent, réfléchir à une autre voie pour moderniser les procédures, qui passera par une dématérialisation totale de la chaîne, en conservant un traitement des procédures au niveau local ».

Vers un contrat d’objectifs et de moyens avec l’État

Concernant la réforme de la discipline des professions du droit, qui vient de faire l’objet d’un rapport de l’Inspection général de la Justice, « je souhaite porter au cours du premier semestre 2021 un projet de loi qui s’en inspirera largement », a annoncé Éric Dupond-Moretti, et « la Chambre des commissaires de justice sera bien entendu associée à l’ensemble de ces travaux ». S’agissant de la gouvernance de la future profession, « pleinement conscient de l’importance des enjeux », le ministre s’est dit « convaincu que la future gouvernance parviendra à un équilibre tenant compte des particularismes de vos deux professions ». Enfin, il a indiqué être « favorable » à la proposition de la profession de travailler à la conclusion d’un contrat d’objectifs et de moyens avec l’État.