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Rupture conventionnelle pour un salarié protégé : des précisions du Conseil d’État

Le dispositif de la rupture conventionnelle est désormais bien connu et maîtrisé par les employeurs et salariés. On sait, en revanche, moins que l’inspection du travail, tiers à la relation contractuelle, peut avoir son mot à dire, même dans le cadre d’une convention de rupture acceptée par les deux parties, lorsque le salarié est protégé. Un récent arrêt du Conseil d’État* apporte d’intéressantes précisions à ce sujet.

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Un succès en partie lié à une procédure simplifiée

Depuis sa création en 2008 et son essor fulgurant, l’intérêt de la rupture conventionnelle n’est plus à prouver. Elle constitue désormais un instrument de choix parmi les modes de rupture du contrat de travail, au point même d’avoir inspiré la fonction publique qui s’est également doté de ce dispositif !

Si bien sûr l’intérêt des salariés est en partie lié à la possibilité de solliciter l’allocation chômage d'aide au retour à l'emploi (ARE), côté employeurs, on pointe souvent la facilité du dispositif.

La demande peut émaner du salarié comme de l’employeur. Le Code du travail les oblige toutefois à effectuer au moins un entretien au cours duquel les parties peuvent être assistés. L’entretien porte, notamment, sur la date de départ de l’employé et sur le montant de l’indemnité. Une fois d’accord sur les modalités, les parties signent la convention de rupture. Le Code du travail prévoit un délai de rétractation de 15 jours à compter de la date de signature de la convention. A l’issue de ce délai, la partie la plus diligente adresse une demande d’homologation à l’inspection du travail, avec un exemplaire de la convention. Sans réponse de la part de l’inspection du travail dans un délai de 15 jours, l’autorisation est automatiquement et implicitement accordée, ce qui est très majoritairement le cas.

Une situation différente pour les salariés protégés

La situation est légèrement différente pour les salariés protégés. En effet, afin de garantir la liberté syndicale, ces salariés « légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle». En conséquence, ils doivent nécessairement faire l’objet d’une attention particulière de la part de l'inspection du travail.

Aussi, en matière de licenciement, le Conseil d’État considère, depuis longtemps, que celui-ci « ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé » et qu’il « appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de vérifier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la réalité » du motif avancé par l’employeur (encore récemment : CE, 9 décembre 2022, n° 433766).

La question restait toutefois en suspend pour la rupture conventionnelle. On pouvait douter du parallèle. En effet, on comprend bien qu’en matière de licenciement, procédure unilatérale menée par l’employeur, un contrôle soit nécessaire. La situation est toutefois différente pour la convention qui, par nature, suppose nécessairement le consentement du salarié protégé.

Le rôle central du consentement à la rupture

Deux cours administratives d’appel, par des arrêts remarqués, avaient initié une protection accrue des salariés protégés, en matière de rupture conventionnelle. Celle de Nantes a ainsi estimé que l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de rupture conventionnelle du contrat d'un salarié protégé ou d'un ancien salarié protégé bénéficiant encore de cette protection « est tenu de vérifier que le salarié a librement donné son consentement à la rupture » (CAA de Nantes, 15 septembre 2020, N° 18NT03136 ; dans le même sens, CAA de Marseille, 21 août 2015, 14MA02143).

Par une décision du 13 avril dernier, le Conseil d’Etat a non seulement validé cette protection accrue, et est même allé bien plus loin. Il indique que : « il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre du Travail, saisi d'une demande d'autorisation d'une rupture conventionnelle conclue par un salarié protégé et son employeur, de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, au vu de l'ensemble des pièces du dossier, que la rupture n'est pas au nombre de celles mentionnées à l'article L. 1237-16 du Code du travail, qu'elle n'a été imposée à aucune des parties et que la procédure et les garanties prévues par les dispositions du Code du travail, mentionnées aux points 2 et 3, ont été respectées. A ce titre, il leur incombe notamment de vérifier qu'aucune circonstance, en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par le salarié ou à son appartenance syndicale, n'a été de nature à vicier son consentement ».

Le Conseil d’État donne plein effet au principe de liberté et de consentement, puisqu’il estime que « l'existence de faits de harcèlement moral ou de discrimination syndicale n'est pas de nature, par elle-même, à faire obstacle à ce que l'inspection du travail autorise une rupture conventionnelle, sauf à ce que ces faits aient, en l'espèce, vicié le consentement du salarié ».

* CE, 13 avril 2023, n° 459213, B

Nicolas TAQUET, avocat