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QVT : les intervenants en risques psychosociaux s’interrogent sur le sens au travail

Le 12 octobre, la Firps a présenté son 6ème guide pratique « Quel sens au travail ? ». L’occasion pour la Fédération des intervenants en risques psychosociaux de faire un point sur le sujet, à travers trois prismes principaux : les conditions de travail, les compétences et le management.




© Adobe Stock
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« Les économistes se perdent en conjectures pour comprendre les faibles gains de productivité, expose François Cochet. La baisse de ces gains de productivité est liée en grande partie à l’épuisement des travailleurs ». Le président de la Firps se montre inflexible : pour lui cette baisse provient du travail lui-même et de la pénibilité, qui concernerait « un salarié sur cinq ». Pour une autre partie, il s’agit plus d’un phénomène de « lassitude ». Rappelant l’expression « avoir du cœur à l’ouvrage », il évoque la nécessité d’avoir à la fois « ses bras, sa tête et l’envie » pour pouvoir travailler. Même s’il reconnaît qu’« agir sur l’envie des salariés est compliqué ». Si cela ne signifie pas qu’aucun salarié n’est heureux au travail, « il y a de très nombreux salariés en difficulté ». Ce qui pose question à la fois pour leur santé, pour l’entreprise et pour le pays car c’est « un appauvrissement collectif », insiste-t-il. En outre, avec des difficultés croissantes de recrutement et des aspirations qui changent –43 % des actifs envisagent de quitter, dans les deux ans, leur emploi pour un autre ayant plus de sens*–, il est indispensable que les organisations se saisissent du sujet au plus vite.

Conditions de travail et compétences

Si la question du sens au travail est à la fois individuelle et collective, et multifactorielle, la Firps choisit de l’évoquer sous trois enjeux majeurs. Premier enjeu, les conditions de travail – organisation, relations de coopération, soutien social, conditions physiques et matérielles, charge de travail, exigences de l’activité… Pour François Cochet, qui constate le fort turn-over dans les métiers du soin, « le sens au travail ne permet pas d’éviter l’épuisement ». Le guide de la fédération met ainsi en garde : « nos interventions sur le terrain montrent à quel point l’importance et le sens donnés au travail peuvent s’accompagner de conflits de valeurs et de souffrances ». « À l’inverse, des conditions de travail favorables ne compenseront pas toujours une crise de sens ressentie par les salariés ». Le guide note que les conditions de travail « influencent profondément la performance et la qualité, donc le regard que l’individu et le collectif portent sur leur travail. Les marges de manœuvre et les moyens dont ils disposent pour faire un travail de qualité – ce que les ergonomes appellent un « environnement capacitant » – sont une source essentielle de sens et d’engagement ».

Deuxième facette, les compétences. « Si les salariés ont l’impression d’être dans une impasse et de ne pas évoluer, il peut y avoir une lassitude », affirme François Cochet. Alors que « les candidats sont extrêmement exigeants », Kevin Audureau, administrateur de la Firps, indique qu’il faut « stimuler candidats et collaborateurs, qu’ils aient l’impression de grandir et d’apprendre ». Même si, selon lui, « on a un vrai problème à résoudre, car les entreprises ne peuvent pas tout promettre », d’autant que « les DRH ont compris que la sphère privée faisait partie intégrante du salarié », assure Isabelle Tarty, vice-présidente de la Firps.

Les enjeux sont donc multiples : les entreprises doivent développer le soutien social –soit le fait de pouvoir s’appuyer sur une personne en cas de difficulté– et créer du lien entre nouvelles et anciennes générations en leur donnant, notamment, du temps et des espaces de discussion. Enfin, sur la question du numérique, « Les entreprises se dotent de hubs, mais cela manque de sens. En trouvant tout, on ne trouve rien. On laisse finalement les gens se développer seuls », constate Kevin Audureau. Et il interroge sur le fait que ces plateformes existent, mais que peu sont finalement utilisées. En outre, « que fait l’entreprise pour s’assurer que les gens vont dans la bonne direction ? ». Pour lui, il faut « remettre de l’humain et de l’expérientiel dans le sujet du numérique ».

Managers en quête de sens

Dernière facette abordée, la question du management, dont la situation s’avère de plus en plus complexe. Son rôle ? « Rendre compatibles les aspirations individuelles et collectives sans chercher à les rendre homogènes, mais au contraire en acceptant les différences interindividuelles et en en faisant une richesse », affirme François Cochet. Pointant le manque criant de candidats pour les postes de manager, la Firps formule plusieurs recommandations, entre autres « assurer l’accompagnement des managers, selon leurs besoins » et leur « permettre d’échanger sur leur charge de travail, le travail effectif, le travail ressenti, les marges de manœuvre dont ils disposent pour réduire la pression ». Pour Brigitte Vaudolon, administratrice à la Firps, les managers sont « eux-mêmes en quête de sens ». Ainsi, comment donner du sens à une équipe si lui-même n’a pas de boussole ni de direction à suivre, s’interroge-t-elle ? Elle constate également qu’ils subissent des injonctions paradoxales : « le manager est responsable de veiller à la santé mentale des équipes et doit être bienveillant. Pour autant, il doit atteindre des résultats ambitieux avec des moyens parfois de plus en plus limités, tout en devant suivre des process et faire des reportings qui ont tendance à se renforcer et à le contraindre ». De fait, « on comprend le désintérêt pour le poste ». « Il faut nommer à des postes de manager des gens qui ont le goût du management et pas seulement des gens qui sont experts dans leur domaine », conseille-t-elle. Elle insiste ainsi sur le fait que le manager doit donner du soutien à ses collaborateurs et s’assurer qu’il y ait suffisamment d’entente, de solidarité, un état d’esprit collaboratif et que les collaborateurs ont bien accès aux informations. « Devenir manager ne peut pas être qu’une promotion. Ils ont une responsabilité vis-à-vis de leurs collaborateurs », confirme Isabelle Tarty.



De la prévention primaire à la prévention tertiaire

Rappelant l’importance de s’adapter au contexte de l’entreprise, de se concerter avec les représentants du personnel et d’évaluer périodiquement les actions, le président de la Firps formule plusieurs recommandations. La première reprend celle formulée par les Assises du travail, en avril dernier, « Ajouter un dixième principe général de prévention à l’article L. 4121-2 du Code du travail : écouter les travailleurs sur la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail et les relations sociales ». Parmi les autres bonnes pratiques prônées par la Firps : « organiser des échanges réguliers sur les priorités stratégiques de l’entreprise et favoriser la co-construction des objectifs et modalités de travail qui en découlent » ; « identifier ce qui fonctionne bien et valoriser les bonnes pratiques » ; « créer des espaces de dialogue et de délibération sur le travail » ; « construire un environnement favorable à l’apprentissage ».

En termes de prévention tertiaire, la fédération préconise de « porter une vigilance particulière sur les situations de désengagement, de conflits de valeurs et sur le risque d’isolement de certains personnels » ou encore d’« informer les collaborateurs des dispositifs de soutien et d’alerte ».

* Selon le rapport intitulé « Du sens à l'ouvrage : comprendre les nouvelles aspirations dans le travail »

Charlotte DE SAINTIGNON