Prix planchers en France sur les produits agricoles : une chimère ?

Afin de soutenir les producteurs français, Emmanuel Macron souhaite l’instauration de prix planchers sur les produits agricoles, ce qui soulève de très nombreuses questions et problèmes épineux…

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La visite du président de la République au Salon de l’agriculture, le 24 février, a non seulement été chaotique, marquée par des heurts avec les représentants du monde agricole, mais aussi par une annonce surprenante : « il y aura un prix minimum, un prix plancher en dessous duquel le transformateur ne peut pas acheter et en dessous duquel le distributeur ne peut pas vendre ». Ces prix planchers « permettront de protéger le revenu agricole et de ne pas céder à toutes les pratiques les plus prédatrices qui aujourd’hui sacrifient nos agriculteurs et leurs revenus ».

Quel art de la palinodie, dans la mesure où une proposition similaire faite par les députés LFI, en novembre dernier, avait été sèchement balayée par le gouvernement, qui y voyait le « retour à une économie administrée » et une politique « démagogique et contre-productive » ! Pourtant, les États-Unis et le Canada pratiquent depuis longtemps une telle forme d’administration des prix agricoles…

Un principe (trop) simple en apparence

La loi EGalim de 2018 (et ses moutures successives) avait déjà pour ambition de réglementer dans une certaine mesure les prix agricoles. Elle prévoit, en effet, un mécanisme de révision automatique du prix lorsqu’il est fixe et une clause de « tunnel de prix » dans les contrats, afin de prendre en compte, notamment, les coûts de production. Hélas, pour l’heure, les décrets d’application limitent ce dernier mécanisme de tunnel essentiellement à la viande bovine et porcine, ainsi qu’à la filière laitière. De plus, les agriculteurs ne sont pas vraiment partie prenante des négociations tarifaires annuelles, mais subissent des pressions pour baisser leurs prix.

Il s’agit donc désormais d’imposer par le moyen de la loi EGalim4, prévue cet été, un prix minimum à la vente pour les produits agricoles, afin que les producteurs français en tirent une juste rémunération pour leur travail. Mais comment calculer un prix plancher ? À quels types de produits s’appliquera-t-il ? Doit-on tenir compte de certaines spécificités (territoriales, productives…), comme le souhaite notamment la Confédération paysanne ? À quel montant faut-il ensuite établir la rémunération du producteur pour qu’elle soit réputée « juste » ? La protection sociale étant un droit pour tous, faut-il intégrer cet élément dans le calcul du prix plancher d’un produit agricole ? Et finalement, si le prix plancher est trop élevé, ne favorisera-t-il pas uniquement les gros producteurs agricoles, au détriment des petits pour qui il aura justement été créé ? Bref, autant de questions épineuses, encore en suspens.

Les prix planchers, une histoire mouvementée

C’est un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Pour faire simple, c’était l’époque (avant 1992) où la politique agricole commune (PAC) fonctionnait avec des prix minimums pour les importations et des prix d’intervention sur les marchés auxquels la CEE (Communauté économique européenne) rachetait les productions qui ne trouvaient pas de débouchés. Avec le résultat que l’on imagine lorsque les cours mondiaux étaient inférieurs aux prix européens : des coûts de rachat et des stocks faramineux ! Depuis, et surtout après 2010, les prix d’intervention, fixés très bas par rapport aux cours des marchés, sont devenus de facto inopérants. Il est cependant vrai que leur (mauvaise) utilisation lors de la crise de surproduction de lait, en 2018, a conduit à un fiasco.

Mais, il ne faudrait pas pour autant en déduire que « la main invisible du marché » est seule capable de conduire à l’optimum sur les marchés agricoles. C’est à l’évidence le contraire, comme en témoigne le mécontentement généralisé des agriculteurs dans toute l’UE. Entre le marché totalement libre et les prix entièrement administrés, il existe une marge pour une politique interventionniste. Au reste, qui dit loi, dit normalement sanction en cas de non-respect. Mais, d’après la Cour des comptes, « les sanctions prévues par la loi [Egalim] n’ont pas encore été appliquées. Cette situation doit être corrigée dans les meilleurs délais ». C’est peut-être par là qu’il faudrait commencer, d’autant que certains distributeurs en France ne se gênent pas pour s’approvisionner, auprès d’une centrale d’achat basée à l’étranger.

Faire appliquer des prix planchers uniquement en France revient donc à nettoyer les écuries d’Augias, surtout sans contrôles aux frontières et sans droits de douane pour en éviter le contournement. Le revers sur le prix minimum pour le porc français en 2015 est d’ailleurs dans toutes les mémoires. Et quel crédit accorder aux propos du ministre de l’Agriculture concernant la généralisation des prix planchers à toute l’UE, alors que le marché commun a été formellement créé sur les deux piliers de la libre concurrence et du libre-échange ?

À l’évidence, ce sont toutes les politiques économiques européennes et leur fondement idéologique qu’il faudrait remettre sur le métier. Il ne manque plus que la volonté politique, mais celle-ci semble bien timorée. Peut-être parce que cela reviendrait à admettre que l’on s’est trompé…