Le retournement du modèle économique allemand

Longtemps présentée comme un modèle économique pour les autres pays membres de l’Union européenne (UE), l’Allemagne subit de plein fouet la hausse des coûts, l’affaiblissement du commerce mondial et le vieillissement démographique…

© : Adobe stock
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Il y a près de 20 ans, les profondes réformes structurelles menées par le chancelier Schröder avaient un temps donné une hégémonie économique à l’Allemagne au sein de l’UE, alors même que le pays était vu comme l’homme malade de l’Europe dans la décennie 1990-2000. Faisant le choix de promouvoir la compétitivité à l’export, en particulier de l’industrie, la demande interne allemande avait ainsi été sacrifiée. Autrement dit, l’Allemagne a fait le choix de satisfaire en priorité la demande des autres pays avant la sienne, au point de devenir au tournant des années 2010 le premier exportateur au monde en proportion du PIB ! Mais depuis quelques années, ce modèle semble avoir du plomb dans l’aile…

Un mercantilisme à double tranchant

Au début des années 2000, le gouvernement allemand a fait le choix d’adosser sa croissance à son commerce extérieur, en délocalisant de nombreuses activités de production et de sous-traitance vers les pays d’Europe centrale et orientale (PECO), pour en faire baisser les coûts. Selon la célèbre expression de l’économiste Hans-Werner Sinn, l’économie allemande s’est muée en un « bazar industriel du monde », pratiquant pour ce faire des politiques économiques non coopératives au sein de l’UE : baisses d’impôts pour les entreprises, flexibilisation du marché du travail avec les lois Hartz et freinage des salaires.

Pendant une décennie, cette politique a plutôt bien fonctionné, du moins si l’on en juge au seul critère des exportations : l’excédent de la balance courante allemande n’a cessé de croître pour atteindre près de 10 % du PIB, plus qu’en Chine ! Certes, cela s’expliquait aussi par le vieillissement démographique et le recul de la population active, qui pousse les Allemands a préféré épargner afin d’obtenir des revenus futurs importants. Mais un tel niveau d’excédent extérieur était avant tout le signe d’un excès d’épargne mal utilisé, puisqu’il n’était investi ni dans le pays ni au sein de la zone euro.

Avec ce genre de politique mercantiliste, la santé économique de l’Allemagne devenait de facto dépendante de la santé économique de ses partenaires commerciaux, Chine en tête. Ainsi, lorsque la demande mondiale s’est brutalement affaissée pendant la pandémie de Covid-19 et que de surcroît les deux grands empires économiques (Chine et États-Unis) ont décidé de rééquilibrer leur croissance en privilégiant la demande interne, l’économie allemande en a inévitablement fait les frais. C’est pourquoi, lors de son récent voyage en Chine, le chancelier Scholz a renouvelé, malgré les critiques, sa volonté de poursuivre les échanges commerciaux entre les deux pays, la Chine demeurant un débouché majeur pour les entreprises allemandes comme Volkswagen.

Coût de production en hausse, croissance en baisse

L’industrie allemande doit désormais également faire face à la fin du gaz russe bon marché, qui était pourtant l’un des facteurs de sa compétitivité. En effet, Vladimir Poutine ne s’est pas privé d’user du gaz russe comme d’une arme de guerre (économique) contre l’Allemagne, puisqu’il représentait, en 2020, 65 % du gaz naturel consommé dans le pays et 26 % de son énergie. Depuis, l’Allemagne cherche, certes, à diversifier ses ressources en gaz, en particulier au moyen d’un accord avec le Qatar pour la livraison de gaz naturel liquéfié (GNL), mais cela prend du temps. En attendant, la production industrielle allemande subit une hausse de ses coûts de production, qu’il lui sera difficile de faire passer en totalité dans ses prix de vente, en raison de la concurrence sur les marchés internationaux (chimie, biens industriels…). L’on assiste déjà à des réductions de production dans certaines industries très consommatrices d’énergie, et il y a fort à parier que des délocalisations seront envisagées à terme.

Demeure également l’épineuse question de la transition écologique et énergétique, l’Allemagne continuant à consommer beaucoup de charbon et de pétrole (15 % de combustibles fossiles solides et plus de 35 % de produits pétroliers), malgré le développement des énergies renouvelables, qui représentaient en 2020 plus de 16 % de la consommation d’énergie. Or, au-delà des promesses de transition sans souffrance, il est certain que de tels changements structurels dans la production et la consommation d’énergie auront un coût non négligeable, défavorable à la vieille industrie lourde allemande. Quant à la voiture électrique, s’agit-il d’un nouvel eldorado ou d’un mirage ?

Dans les conditions actuelles, rien d’étonnant à ce que la croissance potentielle soit en berne, d’autant que le vieillissement démographique en Allemagne conduit déjà à un recul de la population active. Et il devient politiquement très compliqué de compenser le vieillissement démographique par l’immigration, même si Olaf Scholz tente actuellement de répondre à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée par une refonte complète de la politique migratoire.

À bien y regarder, les forces du modèle économique allemand se sont retournées en faiblesses !