Le mirage Bitcoin

Depuis quelques mois, tous les regards sont tournés vers le cours du Bitcoin qui vole de record en record. Et l’on oublie ce faisant les nombreuses questions économiques, mais aussi sociales et politiques, soulevées par les cryptomonnaies…Eclairage

Le mirage Bitcoin

L’introduction au Nasdaq de la plateforme américaine d’échange de cryptomonnaies, Coinbase, le mercredi 14 avril a de quoi donner le vertige : la première cotation du titre a valorisé la société 86 milliards de dollars, un montant jamais connu pour une entreprise américaine entrant en Bourse ! Brian Armstrong, l’informaticien qui avait créé la start-up Coinbase il y a dix ans, flairant un gros marché sur le Bitcoin, peut aujourd’hui s’enorgueillir d’avoir pulvérisé le précédent record d’introduction en Bourse détenu par Facebook (81 milliards de dollars, en 2012). Ce nouvel épisode de la saga des cryptomonnaies conduit à s’interroger sur les coulisses de la plus célèbre d’entre elles : le Bitcoin.

Le Bitcoin un cryptoactif

Créé en 2009 par l’informaticien Satoshi Nakamoto (plus probablement un groupe de geeks cachés derrière ce pseudonyme), le Bitcoin est présenté comme une monnaie émise de pair-à-pair, non régulée par une Banque centrale, utilisable au moyen d’un réseau informatique décentralisé et qui s’appuie sur des techniques de cryptographie. D’où sa qualification de cryptomonnaie. Le système Bitcoin repose sur une chaîne de bloc (blockchain), un journal de transactions partagé et public, que tout utilisateur doit télécharger sur son ordinateur.

Un système de paiement monétaire peut être caractérisé par trois éléments : une unité de compte, une règle de monnayage et une procédure de paiement. Le Bitcoin semble donc avoir certaines caractéristiques d’un système de paiement, mais l’impossibilité de l’utiliser pour comparer aisément les prix des produits et sa très grande volatilité n’en font à l’évidence pas une monnaie utilisable à grande échelle pour les échanges marchands. Ce d’autant plus que son offre fixe — 21 millions de bitcoins au maximum, 18,6 millions déjà émis au début de l’année 2021 — ne serait pas en mesure de répondre très longtemps à une augmentation soutenue de la demande, et crée nécessairement des comportements de spéculation.

En tout état de cause, le Bitcoin s’apparente donc plus à un cryptoactif, c’est-à-dire un actif numérique créé grâce à l’utilisation de technologies de cryptographie et qui, comme tout actif financier, est risqué. La faillite, en 2014, de la plateforme d’échange de bitcoins Mt.Gox, procédure toujours en cours en 2021, et qui a vu s’évaporer des centaines de millions de dollars, est encore dans toutes les mémoires.

Le cours cahoteux du Bitcoin

Contrairement aux valeurs mobilières, il n’existe pas de Bourse officielle du Bitcoin qui aurait pour fonction de sécuriser les échanges et de s’assurer de l’identité des personnes effectuant une transaction. Tout au plus dispose-t-on de plusieurs sites où il est possible d’échanger du Bitcoin (Kraken, Coinbase…), d’où des cours différents.

Le Bitcoin est d’ailleurs coutumier de variations extrêmes de cours, avec des mini-krachs en 2011, 2013 et 2016. Et depuis peu, il monte à nouveau dans les tours et a même dépassé les 60 000 dollars mi-avril, aiguisant encore un peu plus l’appétit des investisseurs en quête de rentabilité dans un univers où les taux d’intérêt restent désespérément faibles. Même le mythique patron du constructeur de véhicules électriques Tesla, Elon Musk, s’est mis à chanter les louanges du Bitcoin…

Banques et Bitcoin

Il est important de remarquer que les montants émis en bitcoins n’ont aucun lien avec l’unité de compte légale d’un pays (euro, dollar…) et que nul n’est tenu d’accepter un paiement en bitcoins. D’où la question de son acceptabilité par les banques. Alors que Jamie Dimon, PDG de JPMorgan Chase, y voyait « une escroquerie » en septembre 2017, les plus grandes institutions de Wall Street semblent désormais avoir sauté le pas, tandis que leurs homologues européennes restent plus frileuses. Il est vrai que le Bitcoin défraye régulièrement la chronique pour son utilisation répétée dans des transactions de produits illégaux ou des tentatives de rançonnage d’entreprises. Et que dire des escroqueries aux cryptoactifs, dont la forte augmentation pousse l’Autorité des marchés financiers (AMF) à publier régulièrement des mises en garde ? Au surplus, le minage (création) de bitcoins, qui passe par la mise en concurrence de très nombreux ordinateurs pour valider une transaction, nécessite une quantité phénoménale d’énergie électrique, à l’évidence incompatible avec les objectifs écologiques.

Ironie de l’histoire, alors que le Bitcoin était à l’origine rattaché à une mouvance libertaire/anarchiste (cypherpunks) cherchant à retirer la monnaie des mains de l’État, il est aujourd’hui devenu un outil de spéculation, entre les mains des capitalistes !