Le e-commerce, transfiguré par la crise ?

Le e-commerce, transfiguré par la crise ?

Achats d’alimentation en forte croissance, plébiscite des sites marchands d’enseignes physiques… Le e-commerce a vu sa croissance se poursuivre durant le confinement, mais ce dernier a modifié les habitudes d’achat en ligne, d’après la Fevad.

Le e-commerce s’est globalement bien sorti de la crise, mais celle-ci a bouleversé la donne. «Après une hausse de 1,8% sur les trois premiers mois de l’année, le marché global du e-commerce (vente de produits et services) a progressé de +5,3% au second trimestre 2020, contre 12,1% au 2ème trimestre de l’an dernier», explique Marc Lolivier, délégué-général de la Fevad, Fédération du e-commerce et de la vente à distance. Le chiffre d’affaires a ainsi atteint 25,9 milliards d’euros. Tels sont les résultats annoncés par la Fevad,  le 15 septembre, lors d’une conférence de presse en ligne.  Même si cette croissance est deux fois moins importante que l’année précédente, elle demeure remarquable, alors qu’au même moment, le PIB connaissait une baisse de 13,8%. 

Toutefois, l’évolution du e-commerce s’avère «très contrastée», précise Marc Lolivier. Tout d’abord, dans la chronologie :  en avril, le e-commerce ne croît que de 0,8%, en raison de l’arrêt brutal de la vente en ligne de voyages, qui constitue une part importante de l’activité. Mais dès la mi-avril, un regain de croissance s’amorce, pour se confirmer en mai et juin. Le contraste s’avère aussi important entre l’activité des différents secteurs. Globalement, la vente de services  (transports, billetterie…)  a fortement baissé (-19%) quand celle des produits a augmenté de 36% en trois mois, sur fond de fermeture de la plupart des commerces physiques non alimentaires. Et c’est ainsi que sur cette période, la vente de produits devient prédominante : elle pèse 57% du chiffre d’affaires global, contre contre 44%, en moyenne, sur 2019.  Autre contraste fort, celui entre les secteurs B to B et B to C. Durant la période, le B to C a connu une progression de 45%, la plus forte jamais enregistrée depuis la création du baromètre de la Fevad. Le B to B, lui, recule (- 9,6%). Quant au secteur du voyage, il dévisse littéralement avec -75%. 

Un million de cyberacheteurs supplémentaires 

«La période de confinement a sensiblement impacté notre façon de consommer sur internet», note Jamila Yahia-Messaoud, Directrice de département chez Médiamétrie. Tout d’abord, les e-acheteurs se sont multipliés : d’après Médiametrie,  41,1 des  53,1 millions d’internautes que compte la France ont réalisé des achats en ligne pendant la crise sanitaire. C’est un million de plus que l’année précédente, à la même époque. De plus, le confinement a fortement renforcé les pratiques d’achat sur Internet : durant cette période, plus des deux tiers (68,2%) des cyberacheteurs déclarent avoir commandé autant ou plus qu’avant de cette manière. Parmi eux, le quart a commandé davantage. Et la tendance semble se poursuivre depuis la réouverture progressive des magasins, à partir du 11 mai : près de la moitié des acheteurs qui ont consommé plus en ligne durant le confinement, déclarent continuer à le faire. Le phénomène s’observe dans toutes les classes d’âges. Avec des motivations qui vont du souhait d’éviter les contraintes dans les magasins (port du masque, nombre de clients restreint, désinfection des mains, etc.) à la volonté de prendre des précautions sanitaires. 

Autre évolution, celle des modalités et des types d’achats. La croissance de l’utilisation du téléphone portable comme écran s’est «essoufflée», principalement en raison de la baisse des ventes de produits comme les billets, explique Jamila Yahia-Messaoud. En fait, les e-acheteurs passent de plus en plus indifféremment d’un écran à l’autre. Quant aux biens achetés, ils se concentrent plus sur l’alimentation et les produits de grande consommation. L’évolution entraîne un effet inattendu, notamment grâce au succès du drive :  le e-panier moyen, en baisse  depuis des années, repasse la barre des 60 euros (63,6 euros), soit +6,8% par rapport au deuxième trimestre 2019.

Une voie d’avenir pour le commerce de proximité ? 

Incontesté, Amazon demeure le site marchand qui compte le plus de visiteurs uniques. Toutefois, au cours de la crise, ce sont les sites Internet des enseignes qui disposent aussi de boutiques physiques qui ont bénéficié de la période, avec une progression de leurs ventes de 83%, durant le trimestre. C’est quatre fois plus que les «pure playeurs» (qui ne disposent que d’un site Internet).  A l’origine de cette tendance : la possibilité de combiner les avantages des deux circuits, avec du du conseil, du clic and collect, la possibilité de se rendre en magasin pour voir un produit avant l’achat… Autre facteur de succès, le positionnement de ces acteurs sur le secteur de l’alimentation qui «figure dans le top 5 des produits les plus achetés», souligne Jamila Yahia-Messaoud.  Le phénomène est massif : 71%des cyberacheteurs sollicitent et utilisent des sites de e-commerce qui disposent de magasins physiques. Parmi eux, près d’un tiers (31,5%) ont recours à l’achat en ligne sur les sites de grandes surfaces alimentaires, une proportion qui atteint 37% chez les 35-49 ans. Et 13% des personnes optent pour des sites de commerce de proximité. 

Pour ces PME, durant la crise, le e-commerce a joué «un rôle d’amortisseur économique», analyse Marc Lolivier. Le phénomène semble susciter un très vif  intérêt : 68 % des cyberacheteurs déclarent qu’ils aimeraient que ces commerces du quotidien disposent d’un site Internet, un chiffre encore plus élevé chez les 35 à 49 ans.  Pour Jamila  Yahia-Messaoud, cette tendance est le fruit de motivations diverses. D’une part, les internautes sont séduits par la «praticité» de la démarche : 44% estiment que cela leur fait de gagner du temps. Mais avant cela, leur élan relèvent de la «responsabilité citoyenne», note l’experte : 61% des sondés voudraient préserver le commerce local, et 55% d’entre eux, lui permettre de se faire connaître et de prospérer. Plus de neuf sur 10 estiment que les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour aider les petits commerçants à franchir ce cap. 

                                                             Anne DAUBREE