La profession d’avocat demande un plan d’urgence face à la crise

La profession d’avocat demande un plan d’urgence face à la crise

À l’instar d’autres professionnels libéraux durement touchés par les conséquences de la crise sanitaire, les avocats dénoncent l’insuffisance des aides qui leur sont apportées par l’État et demandent la mise en œuvre d’un plan d’urgence.

Une situation de crise sans précédent. C’est ce qui ressort des résultats d’un sondage réalisé par le Conseil national des barreaux (CNB) du 8 au 12 avril derniers, soit après trois semaines de confinement. Un peu plus de 10 000 avocats (sur les 70 000 que compte la profession) ont répondu à ce long questionnaire concernant leur situation économique actuelle et leurs projets pour les semaines à venir. Les deux tiers d’entre eux ont moins de 49 ans, un peu plus de la moitié exercent en cabinet individuel (contre 36 % dans l’ensemble de la profession) et près de 70 % ont des revenus annuels inférieurs à 60 000 euros. Surtout, à l’heure où l’activité des tribunaux est au point mort, 37 % des répondants ont déclaré une activité uniquement judiciaire et 33 % une activité à dominante judiciaire : 70 % des répondants tirent donc l’essentiel de leurs revenus de leur activité judiciaire.

Les cabinets individuels fortement menacés

En ce qui concerne leur situation économique, 41 % des avocats exerçant en individuel ont déclaré avoir complètement arrêté l’activité du cabinet depuis le début du confinement et 89 % des avocats exerçant en individuel ou en qualité d’associé ont affirmé que leur chiffre d’affaires s’est réduit de plus de 50 % sur cette période. En ce qui concerne les collaborateurs libéraux, 10 % ont indiqué que leur activité était complètement stoppée et 60 % partiellement arrêtée, mais 71 % perçoivent néanmoins leur rétrocession intégrale.

Arbitrages entre paiement des charges ou des rémunérations

La grande majorité des répondants ont déclaré avoir payé leurs charges et cotisations professionnelles en mars. Quitte, parfois, à ne pas se rémunérer : 77 % des avocats libéraux se sont effectivement dits prêts à renoncer totalement ou partiellement à leur rémunération pour faire face à leurs obligations sociales et fiscales et payer leurs collaborateurs libéraux ou salariés. 10 % ont toutefois indiqué qu’ils allaient être obligés de procéder à des résiliations de collaborations.

 Aides de l’État, prêts de trésorerie, crédits bancaires…

62 % des répondants vont solliciter le fonds de solidarité mis en place par l’État (à hauteur de 1 500 euros par mois), 28 % ont ou vont solliciter le fonds d’aide de la Caisse nationale des barreaux français et 20 % se tourner vers leur ordre pour obtenir un soutien financier. En parallèle, 32 % vont demander un rééchelonnement de leurs crédits, 31 % un prêt de trésorerie et 13 % un crédit. Enfin, 2 % envisagent de procéder à une déclaration de cessation de paiement.

Un impact considérable sur les projets d’avenir

En ce qui concerne leurs projets professionnels à court ou moyen terme, 28 % d’entre eux considèrent qu’il faudra qu’ils modifient l’activité dominante de leur cabinet et 23 % ont indiqué qu’ils allaient probablement solliciter une mesure de protection de leur cabinet (mesure de sauvegarde). Enfin, 28 % envisagent de changer de métier, 6 % pensent à prendre une retraite anticipée et 5 % ont décidé de fermer définitivement leur cabinet.

Une photographie de la profession en pleine crise

Pour la profession, ce sondage réalisé mi-avril fait le constat d’une crise sans précédent, et «je pense que cela s’est aggravé depuis, car la situation en mars résulte du travail qui a été fait au cours des mois précédents» et, «en raison de l’impossibilité de facturer, demain le chiffre d’affaires va être proche de zéro», a pointé Jean-Michel Calvar, président de l’Observatoire national de la profession d’avocat au cours de la visioconférence de presse organisée le 21 avril par l’institution représentative des avocats pour présenter les résultats du sondage.

Un plan d’urgence et de sauvegarde

«Les avocats subissent et assument quasiment seuls les conséquences de la crise» car «la réponse de l’État est insuffisante et inadaptée à notre profession», a déclaré la présidente du Conseil national des barreaux, Christiane Féral-Schuhl. «Nous demandons un plan d’urgence et de sauvegarde pour les cabinets d’avocats, une exonération des charges sociales et un plan de résorption des délais dans les tribunaux». En parallèle, «nous avons demandé à avoir des statistiques sur l’écoulement des stocks de décisions [de justice] que nos clients attendent (…). Nous ne voulons pas, à l’issue du confinement, un embouteillage de sortie de ces jugements attendus depuis des mois et des audiences qui vont s’accumuler (…). Se pose aussi la question des vacances judiciaires : nous sommes très nombreux à penser que la période estivale ne peut pas être une période sans justice après quasiment deux mois de confinement.»

Être considérés comme des «acteurs essentiels»

«Avec cette enquête nous touchons du doigt la crise économique qui affecte les avocats comme toutes les entreprises françaises, mais les avocats ne sont pas des entreprises comme les autres, des prestataires de services comme les autres», a-t-elle ajouté. La présidente du CNB demande «à ce que les avocats soient désignés comme des acteurs essentiels, des «key workers», comme c’est déjà le cas dans d’autres pays en Europe, tels que le Royaume-Uni et les Pays-Bas où ils sont protégés à ce titre.»

Miren LARTIGUE