L’avenir du télétravail en questions

La délégation à la Prospective du Sénat a tenté d’éclaircir la problématique du télétravail, qui transforme à la fois les pratiques managériales et le rapport au travail. Son récent rapport de 66 pages pose huit questions sur l’avenir du travail à distance, et imagine ses futurs possibles.

L’avenir du télétravail en questions

Serons-nous tous télétravailleurs en 2050 ? Peut-on espérer une croissance plus forte en télétravaillant ? Nos emplois sont-ils menacés par des télétravailleurs moins chers dans des pays à bas salaires ? Va-t-on fuir les villes pour les campagnes ? Le télétravail est-il bon pour l’environnement ? La délégation à la Prospective du Sénat a tenté d’avancer quelques pistes aux diverses questions que soulève le télétravail, sans toutefois dégager de réponses claires. « Il y a des adaptations à faire, des expérimentations à mener selon les entreprises, les métiers et les problématiques de déplacement, avance Cécile Cukierman, sénatrice de la Loire (groupe communiste), rapporteur et coauteur du rapport sur « l'avenir du télétravail, vers une révolution du travail à distance ? ». « Il faut un cadre pour sécuriser l’exercice du télétravail sans toutefois l’enfermer dans un système. On prône le dialogue social ». « L’idée n’étant pas d’imposer de nouvelles contraintes aux entreprises, mais de les laisser libres de négocier branche par branche », ajoute la sénatrice de Paris (LR) Céline Boulay-Espéronnier, également coauteur de l’étude. La délégation s’est penchée sur huit impacts économique, social, sociétal et environnemental du déploiement du télétravail.

Trente à 50% des actifs concernés

A la question de savoir si nous serons tous télétravailleurs en 2050 et si le télétravail va s’installer durablement dans le paysage ou non, Céline Boulay-Espéronnier estime qu’«il ne concernera pas tous les actifs, mais au mieux 30 à 50 % d’entre eux ». Même si la pratique a connu une croissance exponentielle avec la crise : 7% de télétravailleurs avant, contre un quart des salariés au printemps 2020. Si le travail à distance a permis d’éviter des pertes de production durant la crise sanitaire –plus de 200 milliards d’euros, selon l’Institut Sapiens– la délégation sénatoriale s’est également interrogé pour savoir s’il générait réellement plus de croissance économique. « Le télétravail peut avoir un impact positif sur la productivité à long terme (de 5 à 30 %), mais peut surtout conduire à désorganiser les entreprises et peser négativement sur leur compétitivité », signale Céline Boulay-Espéronnier. Son impact est certainement plus favorable pour les tâches créatives que pour celles routinières et pour les salariés volontaires.

Quant au risque de délocalisation, alors que 76% des emplois sont issus des services : « dès lors qu’il n’est plus nécessaire que le salarié soit à son bureau, ne peut-on pas envisager que le travail soit effectué loin, éventuellement à l’étranger » ? La crainte doit être tempérée : la délocalisation n’a pas attendu le télétravail et existe déjà dans un certain nombre de secteurs, le vrai risque concernant les télétravailleurs nationaux. Pour l’éviter, « une politique d’attractivité résidentielle » doit être développée « pour faire de notre pays une terre d’accueil plutôt que d’exil », soutient Cécile Cukierman.

Côté opportunité de relocalisation et d’aménagement du territoire, « depuis plusieurs mois, le télétravail est vu comme un accélérateur d’une nouvelle tendance à l’exode urbain, constate Cécile Cukierman. Si aujourd’hui il est trop tôt pour pronostiquer un mouvement massif, se pose toutefois la question de l’avenir des quartiers d’affaires, dont le modèle semble désormais « obsolète ». Et les collectivités « doivent anticiper l’arrivée de nouveaux télétravailleurs dans leurs territoires à travers des investissements qui leur seraient destinés : tiers-lieux, installation de la fibre, maintien de services publics locaux, infrastructures de loisirs et lieux de sociabilité, aide à la construction de logements adaptés », poursuit la sénatrice de la Loire.

« Dictature informatique »

Sur le plan social, les sénateurs ont souligné les risques qu’induit le télétravail et qu’ « il faut veiller à maîtriser » : inégalité entre ceux qui peuvent télétravailler et ceux qui ne le peuvent pas, pénalité pour ceux qui ne bénéficient pas d’un environnement confortable, sédentarité, risques psychosociaux liés à l’isolement, au déficit de communication, à la perte de motivation et au stress accru, augmentation possible de la charge de travail et brouillage de la frontière entre vie personnelle et professionnelle. Mais dans le même temps, le travail à distance peut aussi constituer une avancée, en favorisant l’inclusion des travailleurs handicapés, facilitant le travail féminin, l’autonomie des télétravailleurs et en poussant à la modernisation des pratiques managériales au sein des entreprises. Pour encourager ces pratiques vertueuses le télétravail « pourrait devenir un critère d’appréciation de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) », suggèrent les sénateurs.

Quant à l’impact du télétravail sur l’environnement, le sénateur du Cantal (LR), Stéphane Sautarel met en avant l’amélioration sensible de la qualité de l’air, constatée lors du confinement. « La réduction des déplacements permise par le télétravail conduirait à une réduction des rejets de CO2 en France de l’ordre de 1 à 3 % », précise-t-il, tout en rappelant la hausse de l’empreinte numérique et de déchets électroniques qu’il entraîne et l’accroissement, en parallèle, de certains déplacements pour d’autres besoins que le travail. Les sénateurs recommandent d’encourager « la réutilisation et le partage des objets numériques pour éviter le suréquipement des entreprises et des ménages. »

Ils se sont également inquiétés de l’éventuelle « dictature informatique » liée au télétravail. Son développement« fait courir un double risque » aux télétravailleurs : celui de sécurité informatique, avec une plus grande vulnérabilité aux cyberattaques et de dépendance à l’informatique d’entreprise, réduisant les possibilités d’initiatives et de créativité et les soumettant à une cybersurveillance étroite », constate Stéphane Sautarel. Pour y répondre, les sénateurs préconisent « d’achever le déploiement des infrastructures numériques pour ne pas créer des zones blanches de télétravail, de former davantage aux métiers de la cybersécurité et d’encourager des data center localisés sur le territoire national pour sécuriser les données ».

Enfin, la révolution culturelle engendrée par le télétravail, dernier thème évoqué dans le rapport, pose la question de « la place des échanges directs dans le monde professionnel ». « La déshumanisation des rapports sociaux constitue une perspective redoutable, une rupture avec la nature profonde d’animal social qu’est l’être humain. Trouver la ‘bonne place’ du télétravail ne peut passer que par une appropriation culturelle négociée entre employeurs et salariés, accompagnée d’un changement de modèle managérial qui doit davantage reposer sur la confiance », conclut Stéphane Sautarel.

Charlotte DE SAINTIGNON