Immigration de travail et « métiers en tension » : le sujet qui divise

Présenté en Conseil des ministres le 1er février 2023, le projet de loi « pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » vient d’être adopté par le Sénat, avant l’examen par les députés en décembre et la publication de la loi courant 2024. L’occasion pour les avocats du cabinet Voltaire Avocats de faire le point sur les principales mesures concernant les conditions d’accès à l’emploi et à une activité professionnelle.

(c) Adobe Stock
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Créer un titre de séjour « métiers en tension ». Voilà l’une des mesures les plus emblématiques du texte « immigration » qui vient d’être adopté au Sénat, en première lecture. « L’Assemblée nationale va apporter des aménagements, voire des suppressions aux amendements présentés par le Sénat. Il faut donc attendre l’issue des différents examens pour apprécier la teneur de la loi », prévient, en préambule, François Hubert, avocat au cabinet Voltaire Avocats.

Dans le projet de loi tel qu’il avait été rédigé au départ par le gouvernement, deux conditions devaient être remplies pour y accéder : être une personne étrangère en situation irrégulière, présente sur le territoire depuis plus de trois ans de manière ininterrompue et exercer un emploi dans une activité ou une zone géographique considérée en tension depuis au moins huit mois sur les 24 derniers mois de présence sur le territoire. « C’est dans le cadre des métiers de la restauration, de l’aide à domicile, du BTP où il y a des difficultés de recrutement », liste François Hubert. Depuis, les sénateurs se sont positionnés pour des régularisations au cas par cas et « à titre exceptionnel » avec des critères resserrés.

Concrètement, tel que le projet de loi avait été présenté, le travailleur étranger se verrait délivrer de plein droit une carte de séjour temporaire portant la mention « travail dans des métiers en tension » d'une durée d'un an. Et pourrait prétendre, à l'expiration de ce titre, à une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « salarié », sous réserve de bénéficier d'un CDI et de satisfaire aux nouvelles exigences en matière de maîtrise du français. La délivrance de cette carte vaudrait autorisation de travail. Cette carte devrait être expérimentée jusqu’à fin 2026, avant un examen auprès des pouvoirs publics.

En comparaison, la circulaire dite Valls du 28 novembre 2021 « qui prévoyait une admission exceptionnelle de séjour des salariés en situation irrégulière et pour lesquels on pouvait faciliter leur intégration, était assez restrictive, puisqu’elle supposait que le salarié concerné fasse une démarche en ce sens avec l’aide de son employeur, auprès de la préfecture et que le préfet examine cette demande avant d’y faire droit, le cas échéant », rappelle François Hubert. Pour lui, la circulaire mettait d’une part le salarié étranger « sous la dépendance de son employeur » et, d’autre part, l’employeur « devait reconnaître auprès de la préfecture qu’il employait un salarié étranger en situation irrégulière, avec le risque de se voir exposé à des sanctions », poursuit l’avocat.

Avec ce titre de séjour « métiers en tension », le salarié n’est pas obligé de justifier via un formulaire Cerfa d’un contrat de travail ou d’une promesse d’embauche et il n’y aurait pas forcément l’intervention de l’employeur dans la délivrance de cette carte de séjour temporaire. « On reviendrait à l’appréciation de l’autorité préfectorale », conclut-il.

Nouvelle amende administrative pour les entreprises

Le projet de loi introduit, par ailleurs, des sanctions à l’encontre des entreprises. Ainsi, il prévoit la création d’une nouvelle amende administrative en cas d’emploi d’étranger non autorisé à travailler. Le texte entend ainsi sanctionner davantage les entreprises qui emploient des travailleurs en situation irrégulière. En cas d’emploi d’étranger non autorisé à travailler, l’autorité administrative pourrait prononcer, par décision motivée, une amende administrative d’un montant maximal de 4 000 €, appliquée autant de fois qu’il y a de travailleurs concernés par le manquement . Cette amende pourrait se cumuler avec une mesure de fermeture administrative. « Une sanction qui a vocation à s’appliquer de manière plus efficace et plus rapide que les sanctions pénales qui peuvent s’appliquer dans un délai de trois, quatre ans. Le législateur essaie de corriger ce point en mettant en place ces amendes administratives qui sont notifiées par la Dirrecte », prévient François Hubert.

En cas de récidive dans un délai de deux ans, le plafond de 4 000 € serait doublé.

Pour fixer le montant de l’amende, l’administration prendrait en compte les circonstances de l’infraction, le comportement de l’employeur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et charges. En raison du principe « non bis in idem », lorsque seraient prononcées, à l'encontre de la même personne, une amende administrative et une amende pénale à raison des mêmes faits, le montant global des amendes prononcées ne pourrait pas dépasser le maximum légal le plus élevé des sanctions encourues.

Favoriser l’apprentissage du français

Toujours dans l’optique d’accélérer et de faciliter l’intégration de travailleurs étrangers sur le marché du travail français, le projet de loi prévoit également d'autoriser certains demandeurs d'asile à travailler avant le délai de six mois –un délai en principe incompressible avant de demander une dérogation pour avoir le droit de travailler quand on est demandeur d'asile. Seraient concernées les personnes étrangères qui viennent de pays pour lesquels « le taux d'acceptation est extrêmement élevé » (les plus à risques). Le demandeur d'asile qui accéderait au marché du travail dans ces conditions devrait bénéficier de la formation linguistique prévue dans le cadre du parcours personnalisé d'intégration républicaine et également d'actions de formation concourant au développement des compétences.

Par ailleurs, la première délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle serait conditionnée à la connaissance d'un niveau minimal de français (déterminé par décret en Conseil d'État). La formation pour l’apprentissage de la langue française aurait lieu sur le temps de travail, dans la limite d'une durée fixée par décret, et donnerait lieu au maintien de la rémunération par l'employeur pendant sa réalisation. En outre, l'étranger pourrait mobiliser son compte personnel de formation pour la suivre. En cas de réalisation en tout ou partie sur le temps de travail, l'autorisation d'absence serait de droit dans la limite d'une durée à fixer par décret.

Plus généralement, le projet de loi prévoit de compléter les actions que les employeurs peuvent proposer aux intéressés dans le cadre du plan de développement des compétences.

Réforme du passeport talent

Par ailleurs, les dispositions existantes pour l’octroi de titres de séjour liés à la création d’une entreprise ou à un investissement en France seraient reprises, via une carte de séjour pluriannuelle unique « talent-porteur de projet », d’une durée maximale de quatre ans. Le projet de loi conditionne sa délivrance, au terme d’une première année de séjour régulier en France, à l’obtention d’une connaissance de la langue française au moins

égale à un niveau déterminé par décret en Conseil d’État. Serait en outre créée une nouvelle carte de séjour pluriannuelle « talent - professions médicales et de la pharmacie » dédiée à ces professionnels et à leurs familles, « pour faciliter leur intégration et répondre également à un besoin sur le territoire français », explique François Hubert.

Charlotte DE SAINTIGNON