Dette publique : la Cour des comptes pointe la situation préoccupante

Dans son rapport public annuel 2024, la Cour des comptes fait une analyse assez sévère de la gestion des comptes publics et juge le scénario retenu de réduction du déficit difficilement atteignable.

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« Un État endetté est un État impuissant », a déclaré le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, le 12 mars dernier, lors de la présentation à la presse du Rapport public annuel 2024, dont le premier chapitre décrit la situation des finances publiques, à fin février 2024. « Quand vous dépensez 57 milliards pour rembourser la dette, c’est la dépense la plus stupide qui soit. Chaque euro consacré au remboursement de la charge de la dette est un euro en moins pour l’éducation, la solidarité, la sécurité, l’écologie… »

Un déficit supérieur à cinq points de PIB en 2023

C’est une situation jugée de plus en plus « préoccupante » que la Cour décrit dans son rapport, basée sur trois grands constats tirés de l’analyse de l’état des finances publiques. Tout d’abord, « 2023 a été, au mieux, une année blanche pour la gestion du déficit public », qui devrait même « légèrement se creuser par rapport à 2022 », a relevé le Premier président. Du fait des fortes tensions inflationnistes et de la hausse des prix de l’énergie, « le ‘quoi qu’il en coûte’ s’est prolongé » : « nous avons fait autant que les autres sur la crise Covid, mais ensuite nous avons fait des choix qui n’étaient pas ceux des autres [pays] face à l’inflation, avec le bouclier énergie ou tarifaire ». Les recettes fiscales s’étant avérées moindres qu’espérées en fin d'année, le déficit public 2023 devrait finalement atteindre un niveau supérieur aux 4,9 % du PIB inscrit dans la loi de Finances de fin de gestion 2023. « Nous savons qu’il va augmenter significativement et qu’en réalité il sera supérieur à cinq points de PIB en 2023. »

Un objectif 2024 difficilement atteignable

Deuxième constat : « le respect de l’objectif pour 2024 n’est pas acquis », a poursuivi Pierre Moscovici. La loi de Finances prévoit une réduction du déficit public à 4,4 % du PIB en 2024, sur la base d’une prévision de croissance de 1,4%. Un taux de croissance revu à la baisse, à 1%, dès la mi-février, suivi de l’annonce de 10 milliards d’économies supplémentaires à imputer sur le budget des dépenses publiques. Ce premier « coup de rabot » pourrait ne pas suffire et de nouvelles coupes budgétaires pourraient être adoptées d’ici l’été prochain, via une loi de Finances rectificative.

Du fait des incertitudes qui pèsent sur l’année 2024, la Cour juge l’objectif de 4,4% « difficilement atteignable », même avec les économies annoncées. Et même si ce dernier était atteint, « nous ne serions pas des champions dans la zone euro : nous continuons à décrocher par rapport à nos partenaires, comme l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Autriche, ou encore le Portugal », a rappelé Pierre Moscovici. Et la charge de la dette continuerait d’augmenter : « elle serait de 57 milliards d’euros en 2024, par rapport à un peu plus de 20 milliards en 2020 ».

Une trajectoire qui implique des économies sans précédent

Dernier constat : la situation prévisible en 2023 et 2024 remet en question toute la trajectoire de finances publiques fixée par la loi de programmation 2023-2027. Cette dernière prévoit de revenir sous les 3% de déficit public à horizon 2027. Ce qui, selon la Cour, implique de réaliser environ 50 milliards d’économies sur les dépenses publiques entre 2025 et 2027, soit « des efforts d’économies sans précédent dans l’histoire récente », a pointé le Premier président. D’autant plus que le rapport de la Cour juge les hypothèses retenues par le gouvernement en termes de croissance, de recettes fiscales et de déficit public très « optimistes ».

Passer de la culture de la quantité à celle de la qualité de la dépense publique

« Il ne faut pas se désendetter pour faire plaisir aux agences de notation, aux marchés ou à l’Europe, il faut se désendetter pour pouvoir investir », a-t-il expliqué. Or, « quand on a une charge de la dette aussi énorme, on ne peut pas investir dans l’avenir, on ne peut pas agir ». Cela implique de faire des économies « pérennes », en modifiant les politiques publiques par des réformes de structure. Dernièrement, dans le cadre de la revue des dépenses publiques engagée par le gouvernement, le Premier ministre a confié à la Cour des comptes l’élaboration de trois rapports : sur la participation des collectivités locales au redressement des finances publiques, sur la sortie des dispositifs de crise Covid-19 et énergie et sur la régulation des dépenses d’assurance maladie. « Il est très difficile d’organiser 20 milliards d’euros d’économies et ce n’est pas forcément populaire, mais c’est faisable, à condition de cibler la qualité des dépenses publiques, c’est-à-dire d’éviter de taper sur ce qui touche à la cohésion sociale et aux économies du futur. »

Une « accoutumance » à la dépense publique et au déficit

Pourquoi la France n’arrive-t-elle pas à se désendetter ? « Cela touche à des facteurs culturels, politiques », a répondu Pierre Moscovici à la question d’un journaliste. « Nous avons une accoutumance assez forte à la dépense publique et au déficit. Nous avons le niveau de dépenses publiques le plus élevé de la zone euro, avec 56 ou 57% du PIB, soit 8 points de plus que la moyenne de la zone euro. Cela traduit une préférence collective pour la dépense publique, cela traduit aussi l’attachement à un modèle social – ce qui, en soi, n’est pas injustifié. Mais pour que cela marche il faudrait encore que les dépenses soient de qualité. Or, nous voyons que, dans le même temps, la dépense publique augmente et nous avons une insatisfaction croissante à l’égard du fonctionnement de certains services publics – le classement PISA, dans les hôpitaux… On a beaucoup de dépenses publiques mais pas toujours de qualité. » Autre spécificité française, selon lui : « Nous vivons un cap du 50e déficit budgétaire de suite. Nous n’avons pas du tout la culture de la réduction du déficit. (…) Il faut lentement faire évoluer notre culture. »