Cryptomonnaies : cybercriminalité et effondrement des cours

Cours manipulés par des milliardaires ? Comptes ‘hackés’ puis vidés ? Cet été, l’écosystème des cryptomonnaies voit sa cote dégringoler, tandis que s’accumulent les cas de cyberattaques et escroqueries diverses. Mais rien n’est fini…

Copyright : Pixabay
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L’univers des cryptomonnaies connaît régulièrement des turbulences. C’est à nouveau le cas depuis juin. Le cours des monnaies virtuelles, toujours aussi spéculatif et volatile, s’est effondré. A commencer par celui du plus connu, le « bitcoin » : sa valeur d’un dollar à sa création en 2008 avait culminé à 51 000 dollars en 2021 : elle est tombée à 22 000 début août 2022. Certains experts prévoient une probable dégringolade du bitcoin à 10 000 dollars.
Cet effondrement pourrait s’expliquer en partie par la décision subite du milliardaire américain Elon Musk (Tesla, Space-X) de vendre, en juin, la totalité de ses ‘bitcoins’ pour une valeur, à l’époque, dépassant 900 millions de dollars. Toutes les autres cryptomonnaies sont impactées dans la même proportion (Ethereum, Solana, Dodge…).

Cet effondrement des cryptomonnaies s’explique aussi par une accumulation de cyberattaques, d’escroqueries révélées ces derniers mois. Selon le cabinet Chainanalysis, les détournements de cryptomonnaies auraient rapporté 7,8 milliards de dollars en 2020 et 14 milliards en 2021.

Sur la technologie de la blockchain

Pour rappel, les cryptomonnaies se sont créées en dehors de toutes institutions bancaires et étatiques. Elles reposent sur la technologie de la blockchain qui permet de créer un enchaînement de « blocs » chiffrés par une encryption très sophistiquée, nécessitant une énorme puissance de calcul (ou « minage »). Ces blocs de données considérés comme inviolables renferment la notarisation, en plusieurs copies, sans original - des montants de monnaie virtuelle détenus par leurs propriétaires - lesquels ne détiennent, en réalité, que des clés d’accès. Tout le système repose donc sur une confiance entre tous les possesseurs de ces cryptomonnaies.

Ses adeptes y voient l’avantage, souvent illusoire, de gains spéculatifs très prometteurs, sans l’intervention des banques ni des Etats, donc dans un contexte virtuellement identique à celui de paradis fiscaux, accessibles en quelques clics... Beaucoup y voient des possibilités de défiscalisation ou de blanchiment d’argent. La réalité est plus complexe. A preuve, les autorités judiciaires se déclarent compétentes pour des plaintes de vol, détournement et autres fraudes dans les cryptomonnaies - preuve que ces pseudo-monnaies constituent bien des « actifs » reconnus dans la plupart des pays - sauf la Chine, la Russie qui les interdisent, alors qu’un pays comme le Salvador a pris le risque d’en faire une deuxième monnaie nationale !

Cybercriminalité et escroqueries

Le gros souci est l’accumulation d’opérations frauduleuses pour des montants faramineux. Dernier en date : un record commis aux Etats-Unis, par un couple de trentenaires - Ilya Lichtenstein, développeur en informatique, et sa compagne, Heather Morgan, artiste rappeuse et investisseuse financière à ses heures. Ils ont réussi à détourner 119 754 bitcoins issus d’un casse informatique perpétré chez Bitfinex, une place financière spécialiste du ‘bitcoin’, alors basée à Hong Kong, en 2016. Ce couple s’est fait pincer en voulant blanchir une partie des bitcoins. Pour brouiller les pistes, ils avaient créé, sous de fausses identités, pas moins de 2 000 portefeuilles de cryptomonnaies entre lesquels ils opéraient des transferts en cascade (‘chain hopping’). Ils auraient été identifiés en tentant de convertir une partie des ‘bitcoins’ en dollars sur une place de marché réglementée qui exigent des justificatifs. Les agents de la justice américaine ont réussi à accéder, sur le Cloud, à des fichiers qui contenaient les clés privées de propriétés. Il a ainsi été possible de récupérer 94 000 bitcoins… soit un montant équivalent à 3,5 milliards de dollars en valeur à l’époque de l’arrestation des malfrats.

Autre cas rocambolesque celui d’un certaine Ruja Ignatova, autoproclamée « la Crypto-queen » et recherchée par le FBI. Sa société OneCoin lui a permis de détourner des cryptomonnaies d’une valeur de 2,5 à 3,5 milliards d’euros. Elle a fui en Grèce, en 2017.

Attention aux sites frauduleux

Depuis quelques mois sont apparus en Europe au moins 10 000 sites frauduleux, dont 5 000 encore actifs, promettant des gains grâce aux cryptomonnaies. Certains de ces sites sont des copies de sites officiels, avec des tableaux de rentabilité qui font totalement illusion. Les victimes sont démarchées via des groupes fermés de réseaux sociaux et des adresses e-mail usurpées.

Ce 3 août, la plateforme de cryptomonnaie Solana (classée 9ème en capitalisation) a reconnu avoir été victime d’une cyberattaque qui aurait permis de vider 8 000 portefeuilles actifs et inactifs. Seul commentaire avancé : « Rien ne prouve que les portefeuilles matériels soient impactés ».


Certains aigrefins se permettent de faire la leçon à leurs victimes, tel ce youtuber dénommé Crypto Gouv qui a réussi à convaincre des dizaines de milliers de personnes à investir dans des « pools d’investissement à fort rendement ». Il a disparu au bout de quelques semaines en expliquant : « C’est comme si vous aviez confié une somme à un conseiller en investissement financier et que celui-ci était parti simplement avec votre argent ».

Dans ce contexte, comment s’étonner de la réticence des institutionnels - tels que Christine Lagarde, présidente de la BCE (Banque Centrale Européenne) ? Elle a dit, sur une radio néerlandaise, sa défiance pour les cryptomonnaies - tout en admettant que la BCE pourrait ne pas exclure de créer, sinon d’encadrer une monnaie virtuelle…

Pierre MANGIN