Bore-out : « L’enjeu pour les managers est de redonner du plaisir au travail »,

Adrien Fender, senior manager au sein du cabinet Stimulus

Adrien Fender, senior manager au sein du cabinet Stimulus, spécialisé en santé psychologique au travail et politiques de qualité de vie au travail (QVT), évoque le bore-out, syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui, vécu par les salariés.

Adrien Fender, senior manager au sein du cabinet Stimulus

Comment définit-on le bore-out ?

Le syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui, appelé bore-out, est de mieux en mieux caractérisé. Il consiste en une souffrance, un ennui, un manque d’intérêt dans le travail, soit parce que celui-ci manque d’intérêt, soit parce qu’il est répétitif dans la durée, soit parce que le salarié l’exerce depuis trop longtemps. Les personnes ont un travail qui ne remplit pas l’intégralité de leur plan de travail ou ne les intéresse pas. Les conditions pour ressentir du plaisir dans le travail ne sont alors pas réunies. Or, le plaisir dans le quotidien du travail est l’un des moteurs les plus importants pour se motiver et se mobiliser.

Plus précisément, quels sont les symptômes ?

Le bore-out se manifeste par une perte d’intérêt, d’appétence, de saveur dans le travail, mais également par le sentiment d’être inutile et de la fatigue. Il y a un délicat équilibre entre le niveau de maîtrise de son travail et le niveau de challenge et d’enjeu nécessaire pour l’exercer. Quand la maîtrise n’est pas assez forte, le salarié est surexposé ; si elle est en revanche trop forte, il est sous exposé, mais le challenge n’est plus là. Ce qui ne veut pas forcément dire que toutes les personnes qui sont en situation de grande maîtrise risquent le bore-out, car certains s’en accommodent très bien.

Avez-vous des exemples que vous avez rencontrés sur le terrain ?

Je suis intervenu dans une grande entreprise où un groupe de quatre salariés au sein d’une équipe souffraient apparemment d’une forme de bore-out. Ils travaillaient très peu et échangeaient peu avec les autres salariés de l’entreprise. Dans cette situation paradoxale, ils ressentaient de vrais symptômes de fatigue, l’ennui les épuisait littéralement. Pour remplir leurs journées, ils se sont mis, petit à petit, à construire des conflits au sein de l’équipe. A contrario, cette situation pourrait engendrer des effets positifs, comme du soutien entre les salariés. Autre scénario rencontré au sein du service comptabilité d’une usine : les collaborateurs, qui faisaient le même travail depuis 20 ans avec un métier qui ne changeait pas souffraient de ce que l’on pourrait qualifier de bore-out.

Que peuvent mettre en place les managers pour éviter le bore-out des salariés ?

Le rôle des managers est primordial pour prévenir, encadrer et aider les personnes souffrant de bore-out, mais également de brown-out et de burn-out. Il faut identifier et accompagner les salariés qui sont touchés. L’enjeu pour les managers est de leur redonner du plaisir au travail. Il faut donc faire la chasse aux sources de plaisir et identifier des sources de variété et de diversité quand il n’y en a pas. Pour le cas cité des comptables de l’usine, nous avons, par exemple, imaginé de faire tourner les postes, chaque trimestre ou semestre. Cette alternance, cette polyvalence peut avoir pour effet de réduire le bore-out.

Quelles sont les difficultés à organiser ces changements ?

Il n’est pas toujours possible de le faire. Tout apparaît plus compliqué pour ces salariés qui sont dans un état émotionnel difficile et la peur du changement est parfois plus forte que la pénibilité à rester dans le même état. L’effort consistant à changer pouvant être perçu comme supérieur à celui nécessaire pour rester en statu quo. Les salariés doivent être prêts à le faire et avoir assez d’énergie. Il faut les aider à se projeter sur les mois à venir et évaluer avec eux les risques du changement. Mieux vaut y aller en douceur, par étapes, passer par des tests pour qu’ils y prennent goût : par exemple, commencer par une journée de travail avec sa collègue et envisager, ensuite, de faire tourner les postes. C’est ce que l’on appelle de « l’exposition progressive ».

Quelle est la différence entre le bore-out et le brown-out ou le burn-out ?

On est sur un glissement sémantique, sans qu’il y ait toutefois une réalité scientifique ou médicale en face de cette réalité. Le burn-out, c’est le mal du siècle. Non reconnu comme une maladie professionnelle, c’est une dépression dans le contexte professionnel, l’OMS (Organisation mondiale de la santé) l’ayant inclus comme un contexte dans lequel des troubles psychologiques peuvent apparaître. Il se définit par trois symptômes : la personne est épuisée émotionnellement, elle ne se sent plus à la hauteur et ne voit plus que des obstacles, et non des challenges ou des opportunités, et enfin, elle se détache socialement. Les personnes les plus à risque étant celles qui sont le plus investies dans leur travail et qui ont vécu un manque de reconnaissance qui les a déçues. Cela fait opposition au bore-out. Le brown-out consiste en une perte de sens au travail, d’un manque de compréhension du pourquoi de leur mission et d’une absence de mise en perspective de leurs tâches qui peuvent éventuellement créer du désengagement. Soit parce que le collaborateur se sent inefficace, inutile à la société et que ce qu’il fait ne sert à rien, selon lui. Les personnes touchées travaillent sans réellement se préoccuper de la qualité de ce qu’elles produisent. On le voit également beaucoup suite à des « chocs de sens », comme la crise climatique, la pandémie mondiale ou la guerre en Ukraine.

La crise sanitaire a-t-elle fait prendre conscience plus largement du phénomène du bore-out ?

Les situations de bore-out sont beaucoup plus rares et moins fréquentes que celles de burn-out ou de brown-out. Cela peut avoir lieu lorsque l’entreprise vous « met au placard », ce qui crée des situations d’ennui profond. Certains ont pu le ressentir avec la crise et la mise en place de l’activité partielle, mais in fine les entreprises ont peu laissé leurs salariés en sous-activité. Finalement, c’est plutôt la situation inverse qui s’est passée et les salariés ont dû faire la part des choses et réussir à concilier leur vie privée et professionnelle.

Charlotte DE SAINTIGNON