Thierry Marx, le chef étoilé qui invente une formation pour exclus

La formation professionnelle telle qu’elle existe n’est pas adaptée à tous, d’après Thierry Marx, chef étoilé et fondateur de l’école Cuisine Mode d’Emploi(s), destinée aux publics éloignés de l’emploi. Il intervenait récemment devant la Délégation aux Entreprises du Sénat.

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« Venez comme vous êtes ». Hasard ou humour, Thierry Marx, chef étoilé emprunte à la communication McDonald's lorsqu’il s’agit d’expliquer les bases sur lesquelles il a imaginé la formation qu’il a conçue et mise sur pied pour les personnes très éloignées de l’emploi : l’école Cuisine Mode d’Emploi(s). Le 22 mars, le chef, très engagé sur ce sujet, est venu partager son expérience et sa vision de la formation professionnelle dans le cadre de la rencontre «La parole aux entrepreneurs », organisée par la Délégation aux Entreprises du Sénat, à Paris.

Depuis 2012, en effet, l’entrepreneur a mis sur pied l’école Cuisine Mode d’Emploi(s) (ainsi que plusieurs autres dispositifs ). L’école revendique un taux de retour à l’emploi de l’ordre de 90 %. A l’origine, Thierry Marx lui-même est issu des QPV, Quartiers prioritaires de la Ville, a souhaité aider ces personnes « à retrouver un projet de métier », explique-t-il. Principe de fonctionnement de l’école : en 12 semaines, des personnes très éloignées de l’emploi – voire, sous main de la justice – apprennent (gratuitement) les bases des métiers de la boulangerie et de la cuisine. En complément, ces élèves vont travailler dans des entreprises au management inclusif. « Nous ne sommes pas là pour les mettre en conformité, mais pour leur transmettre la passion du métier », précise Thierry Marx.

Par ailleurs, « il est nécessaire d’admettre qu’il faut former plus vite », ajoute -t-il. Lui a conçu sa formation en 12 semaines, en se basant sur le contenu de l’ouvrage « Cuisine et travaux pratiques - CAP-BEP-BTH » de J. Planche et J. Sylvestre. « Je me suis demandé : pourquoi faudrait-il deux ans ? ». D’après Thierry Marx, une formation de durée assez courte qui donne la possibilité à un individu de se passionner pour un métier et lui fournit les compétences lui permettant d’intégrer une entreprise où il pourra ensuite grandir est adaptée à ce type de public. A Cuisine Mode d’Emploi(s), « il n’y a pas des personnes en recherche d’un emploi, mais d’un projet qui va leur permettre de relever la tête », souligne-t-il.

Blocages à tous les étages et pistes pour en sortir

Aujourd’hui, le dispositif fonctionne selon un modèle de partenariat public-privé. Mais sa mise en place s’est révélée ardue : elle a pris dix ans. « C’était un combat. Lorsque vous arrivez avec un modèle nouveau, vous dérangez les cercles de la formation professionnelle », précise Thierry Marx. En creux, l’école Cuisine Mode d’Emploi(s) souligne des carences du système de formation professionnelle. « Il faut réaliser que certains publics ne sont pas concernés par la formation professionnelle, qu’ils n’y viendront pas », souligne le chef étoilé. Lui, voit arriver des individus qui ne maîtrisent pas une règle de trois, sont dépourvus d’un socle de connaissances de base : c’est déjà au niveau de l’école que commencent les problèmes. « Nous sommes dans une société qui a besoin d’agilité. Or, nous avons des boulets dans le retour à l’emploi », explique Thierry Marx. Ces derniers sont loin d’être tous imputables à la formation professionnelle.

Aujourd’hui, le secteur de l’hôtellerie/restauration connaît de grandes difficultés de recrutement - 250 000 emplois à pourvoir, d’après Thierry Marx, qui a été élu en 2022 président de l'Umih, Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (restaurateurs, professionnels de l’hôtellerie, du monde de la nuit, bars… ). Accroître l’attractivité des métiers fait partie de ses chevaux de bataille, quitte à « secouer » la profession. Car le constat est simple : au bout de quatre ans, 63 % des diplômés d’un lycée hôtelier ou d’un CFA (Centre de formation d’apprentis) ne sont déjà plus dans le métier. « C’est colossal », juge Thierry Marx. Pour lui, les professionnels vont devoir admettre que les jeunes n’acceptent plus un rapport sacrificiel au travail, qu’ils souhaitent avoir une vie privée, que leur rémunération doit leur permettre de se payer un logement…Attention à la fracture sociale « dure », « dangereuse », met en garde le chef. Mais il délivre aussi des clés : pour lui, le modèle de son école qui permet à des personnes de « s’habituer à regarder au-dessus de la ligne d’horizon », est duplicable dans tous les domaines : mécanique, carrosserie, logistique…