Mobilités : la voiture, refuge par temps de canicule

Quand il fait très chaud, l’habitacle climatisée séduit davantage que les autres moyens de transport, révèle une récente étude. Pour rompre ce « cercle vicieux », faut-il taxer la climatisation ? Ou miser sur les changements de comportements, qui émergent lorsque les éléments s’imposent à nous ?

Les canicules « alimentent le cercle vicieux de l’automobilité », qui contribue au réchauffement climatique global
Les canicules « alimentent le cercle vicieux de l’automobilité », qui contribue au réchauffement climatique global

En 1990, seules 3% des voitures mises sur le marché étaient dotées de la climatisation. Aujourd’hui, il est presque impossible d’acheter une automobile sans cet équipement, qu’elle soit neuve ou d’occasion. Dès lors, la voiture individuelle apparaît comme un refuge les jours de grande chaleur. Or, comme chacun sait, ceux-ci sont amenés à se multiplier. Dans la décennie 1980-1989, on comptait en moyenne trois jours de canicule, par an. Entre 2013 et 2022, la moyenne était de douze jours.

Alors, tous en voiture quand il fait chaud ? Cette tendance est déjà ancrée dans les habitudes, comme le montre une enquête du cabinet de conseil 6T Recherches auprès de 7 000 personnes, menée en deux épisodes, juste après un pic de chaleur de l’été 2023, puis un mois plus tard. Lorsque les températures deviennent insupportables, 53% des sondés jugent la voiture « agréable ». A titre de comparaison, 24% qualifient ainsi les transports en commun ou le vélo, et seuls 17% considèrent qu’il est « agréable » de marcher quand il fait trop chaud. C’est logique, commente Camille Krier, consultante chez 6T : « la chaleur favorise les modes climatisés, individuels, sans usage de la force physique ». Seul le vélo à assistance électrique résiste. « Il concerne peu de déplacements, mais promet d’être seul, dehors, sans transpirer », souligne la consultante.

Ainsi, les canicules « alimentent le cercle vicieux de l’automobilité », qui contribue au réchauffement climatique global, souligne l’enquête. « La voiture gagne des adeptes même lorsque d’autres options sont possibles. Autrement dit, on n’a jamais été aussi individualiste que depuis l’avènement de l’économie du partage », ironise Nicolas Louvet, fondateur du cabinet 6T, favorable à « une taxe sur la climatisation des véhicules ».

Des activités décalées

Par ailleurs, lorsque le thermomètre monte, on se déplace moins. L’enquête, menée en partenariat avec l’Ademe, Agence de la transition écologique, et la Caisse des dépôts et consignations (CDC), montre que « 60% des gens renoncent au moins à une activité ». Et « ce renoncement vise davantage à éviter le déplacement que l’activité elle-même », précise 6T. Les pratiques les plus facilement abandonnées sont la balade, le sport, les loisirs ou les achats, qui correspondent à des déplacements non contraints.

En revanche, « le travail est moins flexible », observe Camille Krier. Certes, on reste plus facilement à domicile. 5% des enquêtés disent avoir « télétravaillé exceptionnellement » un jour de canicule. Parmi eux, on compte une majorité de cadres. Mais l’enquête montre aussi qu’une partie des salariés préfèrent se rendre sur leur lieu de travail, alors qu’ils étaient autorisés à rester chez eux. La chaleur est sans doute plus facile à supporter dans un bureau climatisé que dans une pièce obscure du domicile, mal aérée et sous les toits.

« Heureusement, il y a une bonne nouvelle ! », s’exclame Nicolas Louvet. Car un tiers des sondés précisent que la chaleur les amène à décaler certaines activités à une heure moins chaude de la journée, en les devançant pour 20% d’entre eux ou en les retardant pour 12%. Ces décalages limitent les embouteillages ainsi que l’encombrement des transports publics matin et soir. Justement, cela fait longtemps que le « lissage des heures de pointe » est présenté par les opérateurs comme une solution à la saturation des transports. A Rennes, depuis 2012, l’université décale d’un quart d’heure le début des cours d’une partie des étudiants, ce qui produit une légère désaturation du métro. Mais l’expérience demeure isolée. Or, « l’enquête montre qu’un tiers des gens sont capables, dix jours par an au moins, de changer leurs habitudes », affirme Nicolas Louvet. Un constat qui pourrait être exploité par d’autres collectivités et employeurs.

L’impact de chaleur sur les mobilités ne se limite pas aux comportements humains. Les températures élevées « pèsent sur les infrastructures ferroviaires, endommagent les caténaires et menacent le parallélisme des rails », indique Pierre Aubouin, directeur du département infrastructures et mobilités de la Banque des territoires. Cette perspective doit conduire les opérateurs de réseaux à « des travaux préventifs » et donc à « une réduction de l’offre » de mobilité, précise le spécialiste.

La route n’est pas épargnée. A plus de 45 degrés, vite atteints en plein soleil et alors que le revêtement chauffe sous les roues des véhicules, les enrobés commencent à fondre, « et ça vaut pour les pistes des aéroports ». Le spécialiste évoque également la situation de Phoenix, en Arizona, où la température n’est pas descendue au-dessous de 41 degrés pendant un mois, en juillet 2023 : « l’opérateur Transdev, en charge du réseau de bus, précise que les gens ne tiennent pas plus de 5 minutes aux arrêts ». Faut-il les climatiser ? Enfin, pour limiter l’impact des fortes chaleurs, Pierre Aubouin conseille de « peindre les bus, et les rails de chemin de fer, en blanc ». Pour supporter les fortes chaleurs, il va falloir s’adapter.