Mobilité : depuis le confinement, les citadins se déplacent moins

Photo : Olivier RAZEMON 
Le Tram de Strasbourg
Photo : Olivier RAZEMON Le Tram de Strasbourg

Avec la confinement, le déconfinement, le télétravail et maintenant le couvre-feu, les grandes villes ont connu en quelques mois des bouleversements inédits. Si la mobilité a retrouvé son niveau de février à la campagne, les citadins se déplacent nettement moins qu’avant l’épidémie.

Cette épidémie n’a pas fini de bouleverser nos habitudes. Le 15 octobre, au lendemain de l’annonce, par Emmanuel Macron, d’un couvre-feu dans neuf agglomérations, 19 millions d’habitants au total, était publiée une étude présentant l’évolution de la mobilité urbaine depuis le déconfinement. Kisio, filiale de l’opérateur de transports Keolis et de la SNCF, et le cabinet de conseil Roland Berger, ont suivi, depuis le mois de février, les traces GPS d’un million de téléphones mobiles. Les observations de cette étude, assure François Guénard, associé chez Roland Berger, doivent aider les opérateurs de transports : « comment étaler les heures de pointe ? Comment répondre au risque de désaffection des transports collectifs ? Quel est l’impact du télétravail ? »

La période est, il est vrai, propice aux observations. Depuis le début de l’année, « nous assistons à une incroyable réactivité des gens, qui chamboulent leurs habitudes en quelques jours, alors qu’en temps normal, il faut des années pour constater des changements », observe David O’Neill, directeur exécutif « études et conseils » de Kisio. 

Les déplacements, qui s’étaient effondrés, tous modes de transport confondus, pendant le confinement, avaient pratiquement retrouvé, en septembre, leur étiage habituel dans les régions rurales. Mais dans les villes, le niveau de fréquentation des transports publics et de la route se limite à 93%, et dans les métropoles de plus d’un million d’habitants, il tombe à 84%. La désaffection est encore plus forte « dans les centres culturels et touristiques », puisqu’on ne retrouve que 60% des voyageurs habituels sur certains axes. 

Les auteurs de l’étude constatent que les usagers ne se sont pas massivement reportés sur la voiture individuelle, comme le craignaient les pouvoirs publics au moment du déconfinement. Au printemps, on s’en souvient, les opérateurs avaient condamné une partie des sièges disponibles dans les métros, tramways et bus. « Entre février et juin, dans les grandes villes, la part de la voiture dans les déplacements était passée de 53% à 59%, alors que les transports en commun diminuaient fortement », indique David O’Neill. En prolongeant ces courbes, on pouvait s’attendre à une explosion des embouteillages en septembre, mais cela ne s’est pas produit. « L’usage de la voiture se régule avec la hausse du trafic et revient à un niveau proche de la normale, soit 55% », constate le consultant. La progression de l’usage du vélo, maintes fois documentée, est incontestable dans le cœur des grandes villes, mais demeure marginale à l’échelle du pays. En revanche, « nous avons été surpris par la part de la marche, qui a gagné trois points entre juin et septembre », indique David O’Neill. Selon les spécialistes, les citadins choisissent de marcher « pour les déplacements courants, car cela garantit un temps de parcours fiable, et en complément des transports en commun, pour éviter un changement ».

Déplacements utilitaires

On ne se déplace plus pour les mêmes raisons qu’avant la crise sanitaire. Les quartiers animés et foisonnants, dédiés au shopping, sont désormais moins fréquentés que les gares, points d’arrivée des salariés. Dans les grandes villes, la crise a aussi modifié les habitudes. Les mouvements se sont atténués le samedi et le dimanche, « probablement en raison de la baisse de l’offre culturelle et des sorties non essentielles », indiquent les auteurs de l’étude. « Le vendredi, jour où les déplacements étaient les plus nombreux, est désormais surpassé par le mardi », note David O’Neill. Ce constat simple suffit à confirmer ce que chacun sait : nos vies sont devenues plus fades.

Pour Kisio et Roland Berger, l’observation des comportements doit contribuer à renforcer l’attractivité des transports publics. Ceux-ci sont toujours aussi efficaces pour déplacer en masse les habitants d’une grande ville, et donc limiter les embouteillages. « Si seulement 10% des usagers des transports en commun se reportent vers la voiture en heure de pointe, cela entraîne une hausse de 40 à 80% du trafic », explique Françoise Tournassoud, responsable de la prospective à la SNCF. En effet, le débit du train est 17 fois supérieur à celui de la route. En outre, insiste la prospectiviste, le train, stationné, « réclame moins d’espace, en ville, là où le foncier est rare ». 

Les consultants, qui ont réalisé leur étude avant l’annonce du couvre-feu, conseillent aux transporteurs d’« adapter l’offre de transports » aux nouveaux usages. Ils préconisent par exemple de « travailler avec les grands émetteurs de flux », que sont les employeurs ou les universités, pour « optimiser la demande en heure de pointe », c’est-à-dire inciter les salariés ou les étudiants à décaler leurs heures d’arrivée et de départ. Faut-il pour autant réduire la fréquence au-delà en soirée ou le week-end ? Ce choix comporte un risque, bien connu des transporteurs : lorsqu’un usager potentiel ne peut plus compter sur une cadence régulière, il renonce à son déplacement, ou utilise un autre mode de transport. 

Olivier RAZEMON