Mais où sont passés les conducteurs de bus ?

Les trains, métros, tramways et bus ne rebutent plus autant les passagers, qui les empruntent à nouveau. Mais les comptes des entreprises de transport restent marqués par la pandémie. Et elles doivent relever un nouveau défi : la pénurie de conducteurs de bus.

Un bus du réseau de Cherbourg à Bricquebec en Cotentin (Manche) Le tramway lillois
Un bus du réseau de Cherbourg à Bricquebec en Cotentin (Manche) Le tramway lillois

Les passagers sont remontés dans les bus, les métros et les trains. Selon l’Union des transports publics (UTP), qui rassemble 171 entreprises du secteur, « la suppression de l’obligation du port du masque, d’une part, et l’augmentation des prix des carburants, d’autre part », ont attiré les voyageurs, qui boudaient les transports publics depuis le début de la pandémie. Les chiffres compilés par l’organisation professionnelle montrent que la fréquentation a beaucoup augmenté, au premier semestre de 2022, par rapport à la même période de l’année dernière. « La France résiste plutôt pas mal par rapport à d’autres pays, comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis », semble se satisfaire Marie-Ange Debon, présidente de l’entreprise de transport Keolis et de l’UTP, qui tenait une conférence de presse le 4 octobre dernier.

Le niveau n’a toutefois pas encore atteint celui de 2019, année de référence. La fréquentation des transports urbains (hors Ile-de-France) est descendue à 91,5% de celle d’il y a trois ans, et celle des TER se stabilise à 97%. Les transports en région parisienne font moins envie : au premier semestre, la RATP n’avait recouvré que 81% de ses passagers de 2019, et les trains franciliens seulement 75%. L’impact du télétravail, et notamment des visioconférences qui remplacent les réunions, se fait davantage sentir dans les grandes villes.

Les chiffres, qui datent de juin, ont pu évoluer depuis. La pression du prix du carburant n’a pas cessé depuis le début de l’été, malgré les largesses gouvernementales. En outre, depuis la fin septembre, les mouvements de grèves dans les raffineries, qui provoquent de longues files d’attente devant les stations-service, ont pu inciter certains automobilistes à tester d’autres moyens de transport.

Mais pour les opérateurs, la facture de la période Covid est lourde. Les pertes commerciales les plus importantes ont été enregistrées la première année de la pandémie, avec 1,15 milliard d’euros pour l’Ile-de-France et 450 millions pour le reste du pays, en 2020. L’année suivante, le manque à gagner total a atteint 700 000 euros, et pour 2022 il s’élève à 220 000 euros. Le versement mobilité, taxe sur la masse salariale due par les employeurs, qui constitue, avec les recettes de billetterie et les subventions, l’un des trois piliers du financement des transports publics, a baissé de 5% en 2020, en raison du chômage partiel. Les montants récoltés par cet impôt, dopé par la croissance de l’emploi constatée après le Covid, ont certes progressé de 9% en 2021. « Mais cela n’a pas permis de compenser la baisse des recettes », note l’UTP.

La crise de l’énergie inquiète également l’organisation professionnelle. En 2019, les opérateurs dépensaient 800 millions d’euros en électricité et en carburant. La facture s’est alourdie de 250 millions depuis le début de la guerre en Ukraine.

Le métier de conducteur n’attire plus

Par ailleurs, les transporteurs doivent faire face, depuis la fin de l’été, à des difficultés de recrutement. Dans plusieurs régions, dans le Nord, en Alsace ou en Normandie, des lignes de car scolaire ont dû être supprimées, faute de conducteurs. Plusieurs réseaux urbains, notamment en Ile-de-France, mais aussi à Nîmes, réduisent la fréquence des passages.

L’opérateur Keolis admet qu’il lui manque 400 chauffeurs de bus sur 15 000 nécessaires, et la RATP concède être à la recherche de « 1 500 conducteurs », selon Marie-Claude Dupuis, directrice de la stratégie de l’entreprise.

Au-delà de baisse structurelle du chômage, Marie-Ange Debon explique ces défaillances par « une pyramide des âges assez défavorable », « la concurrence entre les métiers » ou « l’absentéisme qui progresse dans les transports ». Pour Marc Delayer, directeur général des transports publics à Cholet (Maine-et-Loire), « on constate dans les transports des changements similaires à ceux qui concernent d’autres services publics, la volonté de moins travailler le week-end ou de choisir ses horaires, ce qui est bien sûr incompatible avec la notion de service au public ».

Les difficultés de recrutement touchent également les « métiers de la sûreté », agents de surveillance ou police des transports. « La police nationale nous pique des agents », déplore Sylvie Charles, directrice de la branche Transilien (Ile-de-France) à la SNCF. Or, les besoins du secteur se renforcent à l’approche de la Coupe du monde de rugby, qui se déroulera dans neuf villes françaises en septembre et octobre 2023, et surtout des Jeux olympiques de Paris, à l’été 2024.

Pour recruter des chauffeurs, les opérateurs n’hésitent pas à faire briller les chromes. Ils insistent sur « la richesse du métier, sa polyvalence, l’évolution possible vers l’encadrement », selon les mots de la présidente de l’UTP. Dans plusieurs réseaux, comme ceux de Cherbourg ou Strasbourg, des anciens chauffeurs, qui avaient changé de voie ou étaient partis à la retraite, ont été récemment engagés.

L’organisation professionnelle lancera prochainement une « grande campagne » de communication en visant plusieurs catégories : « les jeunes, les personnes souhaitant effectuer une deuxième partie de carrière, les femmes ». Celles-ci ne représentent que 20% des effectifs et cette faible proportion ne s’explique par « aucune raison particulière », veut croire Marie-Ange Debon. Malgré cette affirmation, les a priori ne sont pas rares, reconnaît-elle. Les horaires contraignants, l’image d’un métier très mécanique ou… un environnement trop masculin peuvent rebuter les candidatures féminines.