Le système alimentaire français, mal géré ?

Une alimentation saine, accessible à tous, vertueuse écologiquement... La nourriture constitue un enjeu complexe qui implique un véritable changement de politique publique. Car la situation est loin d'être optimale, d'après France Stratégie.

Le système alimentaire français, mal géré ?

« Pour une alimentation saine et durable » : tel était le thème de la web-conférence organisée par France Stratégie, organisme de réflexion rattaché à Matignon, le 16 novembre dernier. En fait, le sujet de l'alimentation se situe au « carrefour de trois préoccupations vitales » : la santé, l'environnement, et la souveraineté alimentaire, notait Céline Mareuge, journaliste web pour France Stratégie. Côté santé, « pour vivre, il faut se nourrir, ce qui pose la question de l'accès à l'alimentation, et un cran au dessus, se pose la question de l'accès à une alimentation saine », précise-t-elle. L'enjeu écologique se pose aussi, avec l'impact de l'écosystème de production agroalimentaire sur le climat ou la biodiversité. Troisième enjeu, celui de la souveraineté alimentaire « véritable choix politique », pointe Céline Mareuge.

Sur tous ces points, Julien Fosse, chef de projet à France Stratégie a rédigé un rapport remis à l'Assemblée Nationale en octobre. Tout d'abord, au niveau de sa consommation, la France conserve un « modèle alimentaire très singulier », avec trois repas par jour, et qui comporte une dimension sociale prégnante, explique Julien Fosse. Lien de cause à effet ? Globalement, la part de décès attribuables à l'alimentation est plus faible en France que dans le monde. A contrario, en termes de santé publique, le niveau de consommation d'alcool dans le pays s'avère «préoccupant », note l’expert. Autre sujet d'inquiétude, le fameux « modèle français » a tendance à évoluer vers un régime alimentaire toujours plus riche en matières grasses et des repas à base de plats préparés.

Dans le même temps, d'autres évolutions traversent la société, dont l'augmentation de la part du bio. Au total, « ces grandes mutations s'accompagnent d'un défi de santé publique », pointe Julien Fosse. Par exemple, le taux d'obésité en France (14% de la population) demeure un peu inférieur à celui de l'UE (16%), mais il a fortement crû ces trente dernières années. Une réalité, en revanche, n'évolue pas : « on a plus de risque d'être obèse si on est pauvre », constate l’expert.

Sur le sujet de l'impact de l'alimentation sur l'environnement, France Stratégie nuance le lien souvent établi entre élevage des bovins et émission de gaz à effet de serre. Si celui ci existe, les fertilisants azotés, par exemple, portent également une part de responsabilité. Au global, l'imbrication des enjeux de santé et environnement posent la question du fonctionnement du « système alimentaire ». En France, « ce système est fonctionnel ; il a permis de nourrir les populations. Mais il génère aussi des impacts environnementaux négatifs », analyse Julien Fosse.

Paysans pauvres et restos du cœur débordés

Sur le plan social aussi, la situation est très loin d'être optimale : chez les ménages les plus modestes, la part de l'alimentation dans le budget peut se révéler très importante (20%). Pire, plus 5 millions de personnes doivent recourir à l'aide alimentaire, d'après l'Insee, et ce chiffre augmente depuis dix ans.« La situation sociale de l'accès à l'alimentation est très inégale », conclut Julien Fosse. De l'autre côté, l'alimentation ne nourrit pas non plus correctement ses producteurs : un quart des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté, et la profession est soumise à une grande fluctuation de ses revenus.

Reste le troisième enjeu, celui de la souveraineté alimentaire. En termes d'autonomie, « la situation est assez mitigée », pointe Julien Fosse. Certes, la balance commerciale française alimentaire est excédentaire, mais cet excédent repose principalement sur les spiritueux et les céréales. A contrario, la France importe de nombreux produits comme les fruits, les légumes... et le bio, dont la production nationale ne satisfait pas la totalité de la demande. Pourtant, d'après France Stratégie, le passage à ce type d'agriculture- plus vertueuse écologiquement- s'avère en général économiquement profitable pour les agriculteurs (sauf pour la viande bovine). Comment encourager cette transition ? Par la fiscalité ? L'information aux consommateurs ? ….Il ne s'agit là que de l'une des multiples questions qui se posent en matière de politique publique concernant l'alimentation. Mais avant tout, c'est un problème structurel : ce qui s'impose, c'est la nécessité d'une « politique systémique qui fasse le lien entre santé, environnement et offre alimentaire, afin d'élaborer une stratégie globale de long terme d'accompagnement des modes de production et de consommation plus durables », pointe Julien Fosse. Pour l'instant, ministère de la Santé et ministère de l'Agriculture ont respectivement élaboré leurs propres plans en matière d'alimentation...