La ville et la campagne revisitées par l’Insee

L’Institut de la statistique publique fête ses 75 ans, mais continue à observer minutieusement l’économie et la société françaises. Les notions de ville et de campagne ont considérablement évolué, au point de devenir des marqueurs sociologiques majeurs.

La ville et la campagne revisitées par l’Insee

Si vous ne résidez pas en ville, c’est que vous habitez à la campagne. Vraiment ? Rien n’est moins sûr. Car ces catégories bien ancrées dans les esprits, ville et campagne, n’en finissent pas de se désagréger, prévient l’Insee, dans un livre de 200 pages, intitulé « La France et ses territoires ». « Jusqu’aux années 1970, on peut parler d’exode rural. Après 1975, c’est la périurbanisation qui domine », résume Michel Duée, chef du département de l’action régionale, qui a présenté, le 29 avril, cet ouvrage, très documenté et illustré de nombreuses cartes.

Pour mieux observer la diversité des campagnes, l’Institut, qui a fêté ses 75 ans fin avril, a décidé d’en finir avec la définition qui prévalait jusqu’alors. L’« espace rural » n’est plus caractérisé, en creux, comme un territoire non urbanisé. Désormais, à partir de critères de densité et de proximité d’une ville, la statistique publique distingue quatre catégories d’« espaces ruraux ».

Ainsi, 10% de la population vit dans un « espace rural sous forte influence d’un pôle d’emploi ». Il s’agit des villages pavillonnaires qui entourent les villes et dont une part importante des habitants, au moins 30%, définit l’Insee, travaillent en ville. A l’opposé, le « rural autonome », qui concentre 14% de la population, se définit par une faible densité et l’éloignement de la ville.

Certains territoires ruraux sont même qualifiés de « très peu denses ». S’ils ne concentrent que 2% de la population, ils recouvrent une grande partie de la France, des Ardennes aux Pyrénées, en passant par le Massif central, sans oublier le centre de la Bretagne, les Alpes du sud ou le Perche. Ces régions, qui ressemblent à l’image qu’on se fait généralement de « la campagne », abritent encore plus de 10% d’agriculteurs, une faible proportion de cadres et beaucoup de résidences secondaires.

A l’inverse, le « rural sous forte influence d’un pôle » ressemble sociologiquement à la ville, mais avec un revenu moyen par habitant beaucoup plus élevé. Car, comme le relève l’Insee, c’est en ville que se concentre la plus grande proportion de foyers pauvres. La ville abrite aussi la plus grande part de foyers les plus riches et, partant, les plus fortes inégalités.

L’Insee confirme enfin la tendance dominante depuis un demi-siècle : la campagne proche des villes est attractive, gagnant environ 1% d’habitants supplémentaires par an, entre 2007 et 2017 (0,8 % dans le « rural sous faible influence d’un pôle », qui concentre 9 % de la population). La population des villes progresse grâce au solde naturel, car elle est le lieu de résidence de nombreux ménages en âge d’avoir des enfants, mais leur solde migratoire est négatif, les départs étant plus nombreux que les arrivées.

La voiture, apanage des communes riches et périurbaines

L’une des conséquences des différents degrés de densité se lit dans la manière de se déplacer. Depuis la crise des « gilets jaunes », l’Insee, comme par ailleurs les instituts de sondage, s’intéresse de plus en plus à l’usage de la voiture et à ses implications sociologiques et environnementales. En se basant sur les recensements annuels, l’Insee constate que « les habitants des pôles urbains sont à l’origine de 39 % des émissions de CO2 dues à l’automobile, alors qu’ils représentent 51 % de la population ». En ville, en effet, il est plus fréquent de ne pas posséder de voiture, ou de ne pas s’en servir tous les jours, ou alors pour parcourir moins de kilomètres. Et les véhicules des citadins ne sont pas, intrinsèquement, moins polluants et moins émetteurs de CO2 que les autres.

En revanche, les habitants des couronnes, observe Corentin Trevien, économiste des transports, « parcourent 1,6 fois plus de kilomètres que ceux des pôles urbains ». Ce décalage est surtout visible dans l’agglomération parisienne, où l’hyperdensité rend la voiture inopérante. Dans les agglomérations de moins de 50 000 habitants, la population urbaine utilise à peine moins la voiture que les habitants de la première couronne.

Logiquement, l’Insee constate une forte corrélation entre la proximité immédiate (moins de 500 mètres) d’une station de métro ou de tramway et l’usage des transports en commun, mais aussi du vélo. La proximité d’une gare, en revanche, a un impact plus faible. Quelque 60% des personnes qui résident à moins de 500 mètres d’une gare montent tous les jours dans leur voiture. Enfin, contrairement à un argument souvent entendu, les habitants des communes les plus pauvres utilisent beaucoup moins la voiture que la moyenne. Leurs voitures sont plus anciennes, mais moins puissantes que celles des habitants les plus riches, et donc pas davantage polluantes. Ainsi, précise l’Insee, « les habitants des communes pauvres sont à l’origine de seulement 22% des émissions de CO2 dues à la voiture, alors qu’ils représentent un quart de la population ».

L’Impact géographique de l’épidémie

Dans le foisonnement que promet l’ouvrage de l’Insee, une étude ne passe pas inaperçue, celle qui mesure l’impact économique de l’épidémie selon les départements. En observant les dépenses par carte bancaire, le nombre d’heures rémunérées ou l’évolution de l’emploi salarié, les statisticiens sont parvenus à déterminer que les départements de la côte méditerranéenne, ceux des massifs montagneux, des frontières de l’est ou du cœur de l’Ile-de-France avaient davantage souffert que les autres. Les explications sont multiples, précise Christine Charton, chargée de mission à l’Insee : la baisse de l’activité touristique, la perte d’attractivité des grandes villes ou « une spécialisation dans les matériels de transport, comme le Doubs ou le Haut-Rhin ».

« Cette géographie de la crise est inédite », souligne la spécialiste. « Elle touche surtout les régions où domine l’économie des services, hôtellerie, événementiel, tourisme, services à la personne, alors que les crises précédentes affectaient plutôt les régions ancrées dans l’industrie ».