Crise

La pauvreté a-t-elle réellement explosé en France ?

La pandémie a-t-elle abouti à une explosion de la pauvreté ? Pour l'Observatoire des inégalités, il est encore trop tôt pour le dire. Mais un abaissement généralisé du niveau de vie pourrait avoir un effet en trompe-l’œil sur le taux de pauvreté.

Impossible ne pas s'émouvoir à la vue des longues files d'étudiants en attente d'un repas durant le pic pandémique, ou au récit de petits entrepreneurs recourant pour la première fois de leur vie au Secours Populaire... Toutefois, la crise a-t-elle engendré une véritable explosion de la pauvreté en France ? « Le grand message, c'est que l'on ne sait pas encore vraiment », explique Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités en France. Le 31 mai dernier, il livrait son rapport annuel sur le sujet.

Cet organisme d'études indépendant, financé par des donations, peu susceptible de vouloir minimiser le phénomène de la pauvreté, appelle à la prudence dans les analyses. « Les associations ont mesuré une augmentation des files d'attentes, mais cela ne veut pas dire qu'il y a eu une explosion de la faim ou de la pauvreté. Il faudra mesurer la part d'un phénomène profond déjà présent, de besoins sociaux déjà existants qui ont été rendus plus visibles », précise Anne Brunner, directrice d'études à l'Observatoire. Pour autant, si pour l’organisme, on ne dispose pas encore de suffisamment de données pour parler d' « explosion » de la pauvreté, celle-ci a effectivement augmenté. En particulier, ont été impactées les personnes qui touchaient un revenu non déclaré, lequel n'a pas été compensé. Et aussi, les jeunes actifs qui ont perdu un contrat précaire et n’avaient pas assez cotisé pour avoir droit à des indemnités chômage. D'autres données, encore parcellaires, décrivent des situations sociales plus nuancées qu'il n'y paraît à première vue, liées à la pandémie et aux confinements.

Un appauvrissement généralisé ?

Par exemple, certains élèves auront vécu la période de confinement dans des conditions plus difficiles que d’autres, ce qui se répercutera sur leurs apprentissages. D'après les données rapportées par l'Observatoire, 56 % des enfants scolarisés grandissant dans une famille où l'un des parents est cadre pouvaient travailler dans une pièce isolée, contre 40 % environ pour les autres. Toutefois, 4% des collégiens et lycéens seulement ont déclaré avoir manqué de place, et l'écart entre enfants de milieux défavorisés et très favorisés n’est que de 5 à 2%.

« Quel sera l’impact à long terme de ces périodes, hors de l’école, selon les milieux sociaux ? La réponse est difficile à donner car la capacité de rattrapage des jeunes est grande », analyse le rapport annuel de l'Observatoire. Ce dernier alerte toutefois à propos d'un autre phénomène, paradoxal : la pandémie pourrait aboutir à une baisse du taux de la pauvreté, mais il s'agirait alors d'un trompe-l’œil statistique. En effet, l'augmentation du chômage risque de toucher la classe moyenne, dégradant la situation générale. Or, statistiquement, le seuil de pauvreté est relatif au niveau de vie médian (1 771 euros mensuels, en 2018, pour une personne seule après impôts et prestations sociales, selon l’Insee). Si ce dernier baisse, le taux de pauvreté suivra mécaniquement le même mouvement... Une fausse bonne nouvelle donc : « il s'agirait d'un appauvrissement généralisé », met en garde Louis Maurin.