La France doit se convertir à la « sobriété foncière »

L’objectif zéro artificialisation nette des sols fixé par la loi parviendra-t-il à mettre fin à la forte consommation des terres en France ? La fiscalité va à l’encontre de cet objectif ! Et il existe aussi un autre danger, celui du détournement des terres agricoles pour un usage de loisirs, met en garde la Safer.

(c) Adobe Stock
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« Nous voyons défiler des parlementaires qui viennent dire tout le mal d’une loi qu’ils ont voté il y a deux ans », note Nicolas Hasle, Président du syndicat mixte du SCoT des Territoires du Grand Vendômois et élu local. Lors du Salon international de l’agriculture, à Paris, le 2 mars, il intervenait dans le cadre d’une conférence sur « Sobriété foncière : pourquoi et comment ? », organisée par la Safer, Société d'aménagement foncier et d'établissement rural . La loi climat et résilience évoquée par Nicolas Hasle, est au cœur de ce débat ; elle fixe l’objectif ZAN, Zéro artificialisation nette (des sols) pour 2050. Une mesure contraignante pour les projets de développement locaux. Néanmoins, rappelle Nicolas Hasle, « si nous voulons que l’agriculture remplisse ses missions, il faut lui laisser son outil de travail, qu’il reste perenne dans sa qualité et sa quantité ».

Petit récapitulatif des enjeux qui motivent l’objectif ZAN : écologie, souveraineté alimentaire, paysage… « La sobriété foncière, ce n’est pas négociable », conclut Nicolas Hasle. La prise de conscience de la nécessité de réduire la consommation des terres est récente, illustrent les chiffres de la Safer. Historiquement, « la France a longtemps été très consommatrice de foncier, avec une forte artificialisation des terres », souligne Nicolas Agresti, directeur départemental Safer en Auvergne-Rhône-Alpes. Depuis les années 2010, en effet, le pays a artificialisé des terres agricoles à un rythme soutenu. Par exemple, les surfaces cadastrales agricoles qui ont disparu représentent 33 563 hectares en 2010. En 2022, le chiffre a été presque divisé par deux : 18 260 hectares. « La réduction est notable mais nous partions de très très haut, donc le niveau demeure élevé », analyse Nicolas Agresti. La France entière est concernée par ce phénomène, mais certains types de territoires le sont plus que d’autres, illustrent les cartes de la Safer. En particulier, note Nicolas Agresti, « l’effet métropole a un fort impact. On continue de construire beaucoup autour des grands pôles urbains », comme Paris, Lyon ou Marseille. Deuxième dynamique, l’artificialisation des terres suit le développement des axes de circulation. Elle est également forte sur des zones périphériques, comme le bassin méditerranée et les côtes bretonnes, ou encore, les zones frontalières du Nord qui touchent l’Allemagne et la Belgique.

Le danger de la consommation « masquée »

La Safer alerte aussi sur un autre danger. Une quantité croissante de terres agricoles

échappent à l’artificialisation au sens strict du terme, mais elles sont achetées pour un usage différent de celui d’origine : jardin d’agrément, activité économique de loisirs… Dans ce cas, le changement d’usage reste théoriquement réversible. Toutefois, en réalité, « il est très difficile que ces terres retournent à l’agriculture », pointe Nicolas Agresti. L’évolution de la valeur foncière rend cette hypothèse pour le moins improbable. Par ailleurs, outre à réduire la SAU, Surface agricole utile, le phénomène génère de multiples conflits d’usage entre agriculteurs et nouveaux arrivants. Le sujet est loin d’être anecdotique. Sur le Salon de l’agriculture, Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, a annoncé qu’un projet de loi allait être préparé pour éviter aux agriculteurs des « faux procès », intentés par des urbains qui ne supportent pas le chant du coq, le bruit des tracteurs ou l’odeur des moutons…

Globalement, sur le territoire, cette tendance de changement de vocation de terres agricoles suit des logiques géographiques comparables à celles de l’artificialisation des terres. Et quantitativement, le phénomène est loin d’être anodin. « Il s’est accéléré au moment de l’après Covid. Dans certains départements, cette consommation masquée des terres agricoles est très importante. Elle peut aller jusqu’à représenter le double de l’artificialisation. Cela fait froid dans le dos », témoigne Gilles Flandin, secrétaire général de la Fédération nationale des Safer (FnSafer) et président de la Safer Auvergne-Rhône-Alpes. Globalement, dans cette région, la « consommation masquée » pèse pour environ la moitié de la consommation des terres agricoles. En synthèse, les terres agricoles en France subissent une « double pression », pointe Nicolas Agresti.

Embûches et initiatives

Parviendra-t-on à atteindre l’objectif ZAN et à se prémunir de la consommation « masquée » des terres ? Le cadre est incohérent : des freins structurels coexistent avec des initiatives et des dispositifs qui peuvent être mobilisés dans le bon sens. C’est le cas des Scot, Schéma de cohérence territoriale. Dans leur élaboration, l’objectif ZAN « encourage à faire différemment », note Nicolas Hasle. Par exemple, traditionnellement, les zones d’activités économiques sont organisées sur un mode horizontal. « Il peut y avoir des modèles plus verticaux, avec un parking sur 5 étages partagé par la zone d’activité », illustre Nicolas Hasle pour qui une concertation réunissant l’ensemble des parties prenantes peut faire évoluer les pratiques. En Auvergne-Rhône-Alpes, entre 2017 et 2019, une initiative de la Safer a permis le maintien de l’usage agricole de 1 400 hectares par an de SAU (soit 30 % des terres qui devaient perdre leur vocation) acquis par des non agricoles, sans projet agricole. La Safer a mis en place un cahier des charges souscrit par les acquéreurs dans les ventes qu’elles a accompagnées. « La protection du foncier agricole ne veut pas dire nécessairement acquisition par l’agriculteur. Il peut y avoir un compromis entre l’agriculteur et l’acheteur qui permet de conserver le foncier à but agricole. Ce n’est pas simple. Nous nous sommes un peu auto-saisis du sujet. Il faudrait passer à une autre étape, organiser cela au niveau législatif », témoigne Gilles Flandin.

Mais le frein majeur est peut être celui de la fiscalité. « Pour atteindre l’objectif ZAN, il est nécessaire de développer un nouveau modèle économique, et cela passe aussi par une remise à plat de la fiscalité. En particulier, la taxe foncière sur les propriétés bâties pousse à la construction », analyse Nicolas Hasle. Lui prône une fiscalité qui encourage la réhabilitation de l’ancien et un élargissement du dispositif De Normandie aux bourgs ruraux. Et il alerte : attention aussi aux effets pervers d’un développement inadéquat des énergies renouvelables, avec des exploitants agricoles encouragés à édifier des bâtiments au milieu des champs, pour y mettre des panneaux solaires sur le toit …