La crise de la supply chain est devant nous

La pandémie a fortement impacté les supply chain mondiales, maillon à la fragilité insoupçonnée. En 2022, les risques demeurent nombreux et prégnants, montre le baromètre du cabinet de conseil spécialisé KYU.

La crise de la supply chain est devant nous

Durablement fragilisée, la Supply Chain pourrait constituer le « maillon faible » de la reprise. Tel est le constat qui se dégage de la troisième édition du « baromètre des risques supply chain », présentée le 18 janvier par le cabinet de conseil KYU, spécialisé dans la performance des opérations et la gestion des risques. L'étude se base sur les réponses d'une centaine de responsables supply chain, achats et risques, dans une cinquantaine de secteurs. Et elle montre qu'au delà des spécificités des situations, un même constat se dégage partout : les difficultés vont perdurer en 2022.

Par exemple, le secteur de l'aéronautique connaît un « nouvel élan » depuis fin 2021, après le désastre de 2020 ( -28% du CA). Toutefois, « les risques restent nombreux (…) La supply chain a été fortement impactée », constate Thibaud Moulin, associé du cabinet KYU. Les signes positifs ne manquent pas comme l'évolution vers de nouvelles motorisations, avec, par exemple, la volonté d'Airbus de réaliser un avion à hydrogène. Et aussi, des plans stratégiques industriels qui prévoient un essor de la robotisation. Mais les donneurs d'ordre craignent de voir disparaître des fournisseurs qui ont beaucoup souffert de la crise. Et déjà, le secteur a connu des mouvements de consolidation. De plus, cette industrie est aussi victime de pénuries de matières premières et composants, ainsi que de la congestion des flux logistiques.

Deuxième exemple, celui de l'automobile. Depuis plusieurs années, ce dernier connaît de multiples perturbations -notamment liées à la transition obligée des modes de motorisation. Mais les difficultés propres à la supply chain sont également considérables : la crise a mis à rude épreuve le « modèle de supply chain particulièrement sophistiqué » qui est celui du secteur (flux juste à temps, notamment ), explique Laurent Giordani, associé fondateur du cabinet KYU.

les chauffeurs manquent

Dans le cadre de l'épidémie -qui a aussi réduit la demande- les industriels de l'automobile ont été touchés par la mise à l'arrêt des usines de sous-traitants. Et certains fournisseurs qui ne peuvent reporter la hausse des prix des matières et composants sur leurs clients sont menacés de faillite. Toute la chaîne est ainsi fragilisée, au moment même où l'automobile va devoir accélérer la transition de sa supply chain vers la production à grande échelle de modèles électriques compétitifs.

De manière plus inattendue, la crise dans d'autres secteurs est aussi lourde de conséquences pour la supply chain. Actuellement, les conteneurs attendent de sept à 12 jours pour être ramassés, au lieu des deux ou trois jours habituels. En cause, la pénurie de main d’œuvre dans les transports. « Il manque 400 000 conducteurs en Europe », rappelle Laurent Giordani. La Pologne, par exemple, est particulièrement touchée (124 000 emplois) . Mais la France n'est pas épargnée (40 000). A l'origine de cette évolution, il y a bien la pandémie, laquelle a engendré, par exemple, aux États-Unis, le phénomène de la « grande démission », des salariés quittant leur emploi. Cela a concerné plus de 38 millions d’Américains en 2021, avec plus de 10 millions d'offres d'emploi restées sans preneur. Une situation difficile qui pourrait bien perdurer. « Aujourd'hui, les salariés visent des emplois mieux rémunérés, et le marché leur est favorable. Nous assistons à des négociations à la hausse sur les salaires. Mais l'inflation pourrait en annuler les effets, et entraîner une constance dans le manque d’attractivité de certains secteurs », prévient Laurent Giordani.

La Chine inquiète

Tous secteurs confondu, au Top trois des risques, les décideurs ont désigné les capacités de production, la logistique et le cyber, tous très liés à la crise. Concernant le premier, la situation demeure inquiétante. « Nous subissons une espèce d'effet ciseau, avec une reprise forte et des capacités saturées. Si la demande actuelle se maintient, cette situation va perdurer», décrypte Laurent Giordani. Durant la crise, les entreprises ont écoulé leurs stocks, et avec la reprise, les usines - dont activité avait été ralentie ou stoppée avec les confinements - n'ont par réussi à suivre le boom de la demande. C'est ce que montrent des pénuries dans l'ameublement (Ikea) et l'habillement (Nike).

Deuxième risque, celui de la logistique. « La situation ne devrait pas s'améliorer de si tôt. Pour l'instant, les flux sont encore très désorganisés. Et à court terme, on peut redouter que la politique chinoise qui ferme des villes entières dès que quelques cas de Covid sont décelés, ne fasse perdurer ces perturbations», estime Thibaud Moulin. En effet, la logistique mondiale repose sur le transport maritime : 20 millions de conteneurs transportent environ la moitié de la marchandise mondiale. A elle seule, la Chine concentre sept des 10 plus grands ports à conteneurs du monde. Leur mise à l'arrêt, lors des confinements successifs durant la pandémie, a engendré de véritables embouteillages dans la logistique mondiale. Et en mars 2021, l’échouage de l’Ever Given dans le canal de Suez, a encore empiré la situation. Au total, ces phénomènes engendrent deux problèmes : des délais de livraison fortement allongés et une explosion des prix (de 1 500$ à 30 000$ pour un transport de Shanghai à Los Angeles).

Cyber et RSE, des risques d'avenir

Un troisième risque est à « surveiller comme le lait sur le feu, car il va aller croissant », prévient Laurent Giordani : celui lié au cyber. La crise a en effet accéléré la digitalisation des supply chain, avec des échanges d'informations permanents et accrus entre les parties prenantes. Et l'industrie 4.0 devrait encore accentuer le phénomène, une aubaine pour les réseaux criminels.

Mais d'autres sujets inquiètent également les décideurs. Parmi eux, celui du sourcing. Après la prise de conscience née du choc de la pandémie, les industriels s'attachent à revoir leurs stratégies d'achat. Mais le sujet s'avère complexe et de longue haleine. C'est ce qu'illustre le cas des semi-conducteurs, avec la disproportion entre les plans d'investissements américains et européens. Mais c'est le risque qui figure aujourd'hui tout en bas du Top 10 qui pourrait bien devenir « l'un des grands sujets des années à venir », prévient Laurent Giordani. Il s'agit de celui lié à la RSE, Responsabilité sociale d'entreprise, qui conjugue enjeux légaux et d'image. Exemple avec le scandale du travail forcé des Ouïghours, en Chine, dans les champs de coton et les usines de la région du Xinjiang. Fin juin 2021, la justice française a ouvert une enquête sur quatre multinationales du textile qui auraient tiré profit de ces crimes contre les droits humains : Inditex (Zara), Uniqlo, Skechers et SMCP (Sandro, Maje, Claudie Pierlot).