L’immobilier chahuté, mais pas coulé

Inflation, hausse des taux d’intérêt, entrée en vigueur du DPE, inquiétudes des ménages… Le marché de l’immobilier est secoué. Mais BPCE l’Observatoire ne prévoit pas pour l’instant de décrochage brutal en 2024.

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Le marché immobilier plonge-t-il dans la crise ? Le 20 avril, BPCE l’Observatoire présentait « Les Rendez-vous de l'immobilier - Construction, demande des ménages, effet du DPE et perspectives de prix. Où va l’immobilier résidentiel en 2023–2024 ? », lors d’une conférence de presse en ligne. Avec un constat nuancé, même s’il est loin d’être riant. Ainsi, dans la construction, « la situation est difficile pour les promoteurs. Ils font face à des coûts toujours plus importants, alors que la capacité contributive des clients se réduit. La contrainte sur leur modèle est très forte », analyse Alain Tourdjman, directeur des études économiques du groupe bancaire BPCE. Tous les indicateurs le confirment. Depuis plus d’un an, l’évolution du nombre de mises en chantiers est à la baisse, au point de passer sous la moyenne décennale. Côté réservations, la chute est de 20 % au quatrième trimestre 2022 (par rapport au précédent).

Dans le même sens, la dynamique des maisons individuelles s’est inversée. Après des années 2021 et 2022 fastes en matière de construction, 2023 a vu l’amorce d’une baisse. En face, les réservations ont diminué de manière très importante (20%).« Les acheteurs de ces maisons sont des accédants modestes. Ils sont les plus touchés par la désolvabilisation liée à l’évolution du crédit », commente AlainTourdjman. Sur ce marché, « la hausse des prix des matières premières a impacté le prix de ces maisons dont le design a été retouché pour qu’elles conservent un tarif acceptable pour cette clientèle », poursuit l’expert. Néanmoins, les stratégies des promoteurs n’ont pas vraiment fonctionné, d’autant qu’à la hausse des coûts des matériaux s’ajoutaient d’autres difficultés, dont celle de l’accès au foncier « de plus en plus problématique », note Alain Tourdjman. Résultat, l’Observatoire prévoit 350 000 mises en chantier en 2023, et 340 000 en 2024.

Du côté de la demande, celle des Français en matière d’immobilier (toutes catégories) s’infléchit mais perdure. « Les projets de long terme comme l’ immobilier semblent difficiles à mettre en œuvre. (…) La perception extrêmement négative de l’environnement économique n’a cependant pas anesthésié les projets d’achat des ménages qui restent à des niveaux acceptables. Contrairement à ce que l’on pouvait craindre, la demande ne s’est pas effondrée », analyse Alain Tourdjman. 45 % des Français considèrent le moment défavorable pour l’achat, même si l’immobilier reste une valeur refuge. Toutefois, le nombre de projets actuels demeure stable : 11 % des Français déclarent avoir un projet d’achat de résidence principale dans les douze mois, contre 10 % l’année précédente. Concernant la résidence secondaire, les chiffres n’ont pas évolué ( 3%).

Mais les vendeurs, eux, se posent des questions… 47 % ont des doutes sur les délais auxquels ils vont pouvoir vendre, et une proportion similaire, sur la possibilité d’obtenir le prix souhaité. Et ils sont six sur 10 à déclarer préférer attendre si nécessaire, ce qui augure d’un ralentissement des transactions.

Les perturbations du DPE et des hausses de taux d’intérêt

Sur fond de conjoncture difficile, l’introduction du DPE, Diagnostic de performance énergétique, perturbe encore davantage le marché de l’immobilier. Dernière étape, depuis le 1er avril, l’audit énergétique est devenu obligatoire lors des ventes de logements les plus énergivores, les travaux à réaliser devenant un enjeu potentiel de négociation. «Le sujet est bien présent dans l’esprit des Français », note Alain Tourdjman. Pour les trois quarts d’entre eux, la classe énergétique d’un bien est devenu un critère déterminant. Et ils sont 44 % à ne pas vouloir acheter un bien classé F ou G. « Le DPE va faire émerger des disparités de prix très significatives », estime Alain Tourdjman. Toutefois, l’impact du DPE doit être évalué selon les marchés. Les maisons individuelles, qui représentent la moitié des ventes, sont 20 % à être classées F ou G. « Cela représente une part réduite des transactions. La réduction des prix va donc concerner une partie assez étroite des transactions », tempère l’expert. Concernant les travaux de rénovation énergétique, l’impact du DPE semble pour l’instant limité : 39 % seulement des Français envisagent des travaux de rénovation énergétique à horizon de cinq ans, comme il y a deux ans, alors qu’ils sont 68 % à songer à un embellissement de leur logement... « Manifestement, les Français ne sont pas dans une logique d’urgence », pointe Alain Tourdjman.

Le marché de la rénovation, qui devrait dépasser 21 milliards d’euros en 2023, grossit, mais essentiellement sous l’effet de l’augmentation du prix des matériaux. Car les freins à une véritable croissance restent nombreux. Du côté des propriétaires bailleurs, l’étude de BPCE constate une « méconnaissance générale » du DPE. La moitié d’entre eux ignorent à quelle classe énergétique appartient leur bien. Par ailleurs, ils doutent du fait que les travaux leur fassent gagner un nombre suffisant de classes, et ne savent pas comment les réaliser avec un locataire présent . Au global, « le DPE a un impact sur la sélectivité du marché, avec les prix des biens en G et F qui vont subir une décote significative, mais cela n’engendre pas une grande vague de rénovations », synthétise Alain Tourdjman.

Et enfin, une autre dynamique nouvelle perturbe le marché : l’évolution des taux d’intérêt, en hausse après une trentaine d’années de baisse, vient impacter la solvabilité des ménages. Pour un crédit immobilier à dix ans, ils devraient atteindre 4 % en 2024. « Cela représente une perte sensible de solvabilité des ménages qui a un impact très significatif sur leurs projets d’achat », explique Alain Tourdjman. Ainsi, 71 % d’entre eux ont été concernés, de diverses manières. Dans le détail, 27 % ont renoncé à leur projet, 33 % l’ont reporté et 15 % l’ont modifié, faisant évoluer la localisation du bien ou modifiant le montage financier du projet. Dans l’ancien, les ventes ont diminué de 16 %, en février 2023, par rapport à la même période de l’année précédente. Et déjà, en 2022, avec 1 109 000 logements anciens vendus (à peine plus qu’en 2019), l’activité a décru de 5,4% par rapport à 2021. « Nous allons repasser sous le seuil du million de transactions par an », prévoit Alain Tourdjman.

Pour autant, faut-il s’attendre à une baisse spectaculaire des prix ? A un effondrement du marché ? « Nous ne sommes pas dans un scénario de rupture », estime l’expert. En particulier, l’inflation absorbe une partie des coûts des projets immobiliers engendrée par la hausse des taux d’intérêt. BPCE L’Observatoire envisage une poursuite de la baisse des volumes de transactions (dans l’ancien, -16,9 % des ventes en 2023 puis -5 % en 2024 ) et une diminution graduelle des prix (-2,5 % cette année et -3,5 % en 2024).