L’avenir incertain des pavillons à la française

La périurbanisation a mauvaise presse. Au Sénat, l’audition de cinq universitaires montre la diversité de ce phénomène, ses impasses, mais aussi ses atouts, y compris dans la perspective de la transition écologique.

Une promesse de lotissement, à Malbuisson (Doubs)
Une promesse de lotissement, à Malbuisson (Doubs)

On n’a pas fini de parler de la maison individuelle avec jardin. Cet habitat, qui répondrait à un « rêve pavillonnaire » présenté comme universel, a fait son entrée dans le débat public. La maison individuelle évoque alternativement l’artificialisation des terres agricoles, les allers et retours motorisés entre le domicile et le travail, la révolte des « gilets jaunes », voire une « résurgence d’un esprit villageois à la française », veut croire Jean-François Longeot. Ce sénateur centriste a longtemps été maire d’Ornans, une petite ville du Doubs dont la population a augmenté depuis 20 ans en raison de la facilité d’accès à Besançon.

Début décembre 2021, en tant que président de la commission de l’Aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, le sénateur introduisait l’audition de cinq universitaires sur le thème de la « périurbanisation ». Le phénomène concernerait, assure-t-il, « 12 000 collectivités territoriales et 18 millions d’habitants, contre 9 millions au début des années 2000 ». Signifiant littéralement « autour de la ville », le terme « périurbain » apparaît souvent comme un mouvement centripète, venu des villes. Or, « le périurbain n’est plus seulement le déversoir de l’urbain. On remarque aussi des retours en ville, et des mouvements internes au périurbain », estime le géographe Laurent Cailly. Se présentant comme « spécialiste de l’urbanité rurale et de l’agriculture urbaine », Monique Poulot-Moreau a repéré au cours de ses enquêtes « beaucoup de sauts de puces, d’une localité à l’autre, à la recherche d’un périurbain idéal ». L’habitat pavillonnaire et le paysage arboré mêlent plusieurs réalités géographiques, au point que les ruraux s’y sentent « à la ville » et les citadins « à la campagne ». Ainsi, « plutôt que ‘périurbain’, qui a mauvaise presse, on devrait parler de ‘campagnes urbaines’ », assure la spécialiste. Éric Charmes, chercheur en sciences sociales, préfère évoquer, pour sa part, « non pas des nappes pavillonnaires, mais des villages inclus dans un système urbain ».

Architecte et lauréat du Grand prix d’urbanisme en 2014, Frédéric Bonnet rappelle que tous les secteurs périurbains ne se ressemblent pas. On y remarque « certains territoires très riches, comme l’agglomération de Genève, d’autres au contraire très pauvres, et toutes les phases intermédiaires », dit-il. En outre, la périurbanisation n’est pas une spécificité française, puisque la maison individuelle prospère aussi « en Italie du Nord, au Benelux ou en Allemagne », ajoute-t-il. Enfin, la tendance, consécutive à la pandémie, est au « desserrement résidentiel », observe Laurent Cailly. Comme le confirment les agents immobiliers, les ménages, éprouvés par les confinements, cherchent une pièce en plus et un espace extérieur.

Transformer les friches commerciales

Les universitaires insistent sur l’attachement des habitants à leur quartier pavillonnaire. Cet « ancrage » a parfois pris du temps. Il a fallu se faire accepter dans le quartier, surmonter les surcoûts liés à l’éloignement des services, parfois trouver un emploi dans la commune, mais au bout de quelques décennies, « c’est le paradis, et les habitants ne voudraient plus s’en aller », témoigne le géographe Lionel Rougé, qui a enquêté à plusieurs reprises à Rieumes, 3 500 habitants (Haute-Garonne).

Les crises écologiques supposent plusieurs changements d’envergure. Le sujet est épineux, comme le rappelle la levée de boucliers contre Emmanuelle Wargon, en octobre dernier. « Ce modèle d’urbanisation », assurait la ministre du Logement, « est un non-sens écologique, économique et social ». Éric Charmes, soucieux de « sortir du débat assez stérile opposant maison individuelle et transition écologique », propose des solutions concrètes. Dans les lotissements, « tout le monde n’a pas la compétence ni l’envie de cultiver son jardin. Cela pourrait se faire collectivement, quitte à ce que la collectivité embauche des jardiniers ». Dans la même logique, Monique Poulot-Moreau préconise d’exploiter « le potentiel agricole » de ces quartiers.

Mais le périurbain ne se limite pas, loin de là, aux pavillons individuels. L’avenir des zones commerciales, en surnombre, est posé. Frédéric Bonnet propose d’utiliser les réserves foncières des grandes enseignes pour y construire des équipements collectifs : « mieux vaut que la médiathèque s’installe en face du Bricomarché que sur un nouveau champ ».

La mobilité quotidienne, en voiture pour l’écrasante majorité des trajets, constitue l’un des enjeux les plus commentés. Éric Charmes évoque « le moteur électrique, mais aussi le vélo comme cela se fait en Allemagne car, en terme d’émissions de gaz à effets de serre, le vélo a un impact plus important que la densification des logements ». La proposition est accueillie par les rires des sénateurs. Quelques minutes plus tard, Frédéric Bonnet poursuit : « J’ai vu tout le monde rigoler quand on a parlé du vélo. Pourtant, on peut sans difficulté parcourir 10 kilomètres par jour sur un vélo à assistance électrique ». L’architecte rappelle en outre que, dans les quartiers périurbains, « pendant des décennies, tous les investissements ont financé la voiture individuelle, par l’intermédiaire de routes ou de ronds-points ». Afin de limiter les déplacements coûteux et stressants, le spécialiste prône aussi « le télétravail et la réindustrialisation ». A son tour, Laurent Cailly évoque « les modes cyclable et pédestre, et les transports en commun », tout en invitant les élus à se méfier des « solutions technologiques portées par nouveaux services à la mobilité ». Enfin, Lionel Rougé parle de « mise en vélo ». Cela amènerait les habitants, souligne-t-il, « à se penser sur deux jambes, alors que depuis tout petits ils se pensaient sur quatre roues ».

Ces propositions, saluées à plusieurs reprises par des sénateurs comme « très instructives », pourraient toutefois nécessiter des bouleversements dans l’organisation administrative. Les « intercommunalités XXL », ainsi dénommées depuis la fusion, en 2017, de plusieurs structures intercommunales, sont « une catastrophe en termes de démocratie », souligne Frédéric Bonnet. Pourtant, ajoutent aussitôt les universitaires, ces collectivités sont les plus efficaces, même si elles sont rarement identifiées comme telles par les habitants.