Conjoncture :

gros temps en vue

L’économie post-Covid se caractérisait en 2021 par l’enthousiasme des milieux d’affaires, un retour du taux d’épargne à la normale et un chômage en baisse. La multiplication des incertitudes, aussi bien sur le front de l’énergie que de l’inflation, fait craindre à l’Insee un automne et un hiver moins sereins.


Effets d’aubaine, le calendrier des « remises à la pompe » impacte les achats de carburant    Il n’y a plus rien à attendre d’une reprise du tourisme , puisque « les touristes sont déjà revenus » ( bars à Angers).
Effets d’aubaine, le calendrier des « remises à la pompe » impacte les achats de carburant Il n’y a plus rien à attendre d’une reprise du tourisme , puisque « les touristes sont déjà revenus » ( bars à Angers).

Tous les trimestres, en publiant sa note de conjoncture, l’Insee a pour habitude de l’assortir d’aléas, ou incertitudes, qui ont pour effet, accessoirement, de le prémunir contre toute critique. Autrement dit, si la conjoncture ne devait pas exactement évoluer comme annoncé, ce ne serait pas complètement de la faute des conjoncturistes... Lors de la publication de sa note d’automne, le 6 octobre, les statisticiens se sont montrés singulièrement prudents. « Le scénario de croissance modeste » (+0,2%) pour la France au troisième trimestre « reste particulièrement incertain à ce stade » compte tenu « des multiples aléas », identifiés ainsi : « développements géopolitiques, approvisionnements en énergie, situation sanitaire, conséquences des resserrements monétaires ». Ainsi, « les tensions succèdent aux tensions. Certaines d’entre elles s’amenuisent ; d’autres apparaissent », résume Julien Pouget, chef du département de la conjoncture à l’Insee. Nul ne s’étonnera que, dans ces conditions, l’Insee ait titré sa note « Un automne lourd de menaces pour l’Europe ».

L’inflation, qui a gagné en quelques mois tous les pays occidentaux, trouve son origine, explique la note de conjoncture, dans « les déséquilibres entre les capacités de production et la vigueur de la demande après les confinements », puis a été renforcée par l’attaque de l’Ukraine par la Russie en février 2022. La hausse des prix s’explique aussi par « la poursuite de la stratégie ‘zéro-Covid’ de la Chine », tandis qu’à l’été, « les intenses vagues de chaleur » affectaient « certaines récoltes et ralentissait le trafic fluvial de marchandises ».

Les prix des matières premières fluctuent ainsi au gré de la conjoncture. Les marchés du blé, le nickel ou le bois de charpente, qui avaient atteint des sommets depuis deux ans, se sont « détendus » cet été. Le cours du baril de brut a connu un pic en juillet, avant, lui aussi, de redescendre. Mais, suite aux interruptions des livraisons par la Russie, il n’aura échappé à personne que le prix du gaz en Europe reste à un niveau élevé, au point de susciter « des risques de pénurie », à l’approche de l’hiver.

Ces incertitudes pèsent, en Europe comme aux Etats-Unis, sur le pouvoir d’achat, poussé en 2021 par la vive reprise qui avait succédé aux confinements. Mais « le potentiel de rattrapage post-crise sanitaire s’amenuise », constate Julien Pouget. Il n’y a plus rien à attendre d’une reprise du tourisme, puisque « les touristes sont déjà revenus », ajoute-t-il. Enfin, le commerce mondial ralentit, et, en conséquence de tout ceci, « les perspectives de croissance se sont assombries », résume le chef du département de la conjoncture.

Les effets d’aubaine des « remises à la pompe »

Pour la France, l’inflation devrait atteindre 6,4% pour 2022. La prévision dépend notamment de la fluctuation des cours des matières premières qui « mettent plusieurs trimestres à se répercuter » dans les caddies des ménages. Les « remises à la pompe » imaginées par le gouvernement ont donné lieu à d’impressionnants effets d’aubaine. L’Insee a observé, grâce au suivi des transactions par carte bancaire, les dépenses de carburant, jour après jour. Le 12 mars, quelques semaines après l’attaque russe, le gouvernement annonçait une remise de 18 centimes par litre à compter du 1er avril. Aussitôt, les ventes de carburant s’effondraient, tombant à un niveau de 40% inférieur à celui de 2019, alors que la veille, elles se situaient à presque 25% au-dessus. Le 1er avril, lorsque la mesure entrait en vigueur, la consommation bondissait alors à 150% par rapport à 2019. Le même phénomène s’est produit, dans une moindre mesure, le 1er septembre, lorsque est intervenue la remise de 30 centimes par litre. Dès lors, ce n’est plus l’énergie qui devrait constituer, à la fin de l’année, le principal poste inflationniste, mais les produits alimentaires, qui augmenteraient, en un an, de 12%.

Les incertitudes alimentent l’épargne, dont le taux remonterait à 17,2% fin 2022, alors qu’il était descendu à 15,5% au début de l’année. Si les ménages s’inquiètent, le « climat des affaires », établi par une série de questions posées à un échantillon de chefs d’entreprises, se dégrade également. On se souvient qu’un pic d’enthousiasme avait été atteint au premier semestre 2021, alors que les restrictions anti-Covid étaient progressivement levées. C’est dans le commerce de détail que l’optimisme des entrepreneurs fléchit le plus, rejoint par l’industrie manufacturière, notamment les secteurs de la chimie, du bois et du papier ou du plastique. Comme le constate Julien Pouget, il s’agit précisément « des secteurs les plus dépendants des approvisionnements en énergie ».

Dans ces conditions, la croissance, que l’Insee érige toujours en signe de bonne santé de l’économie, devrait se maintenir à 2,6% à la fin de l’année, après 6,8% en 2021. Pour 2023, significativement, l’Institut de statistique ne se risque pour l’instant à aucune prévision.

Malgré les circonstances, l’emploi aura continué à progresser en 2022. Les conjoncturistes prévoient « 305 000 emplois créés, beaucoup moins que les 971 000 emplois salariés en 2021, mais la hausse se poursuit néanmoins à un rythme soutenu », observe Olivier Simon, de la direction des études et synthèses économiques. D’après les enquêtes de conjoncture de l’Insee, 60% des entreprises n’en connaissent pas moins des difficultés de recrutement, un taux qui, depuis 2001, n’avait jamais été aussi élevé. Le taux de chômage demeure à un niveau plutôt faible, 7,4%, mais les conjoncturistes ont légèrement relevé leur prévision à la hausse, pour tenir compte, une fois encore, des nombreux aléas.