Euler Hermès prévoit une reprise en V

La reprise économique mondiale est bien là, d'après Euler Hermès. Et la France devrait en bénéficier aussi. Mais les modalités du commerce mondial pourraient être profondément modifiées par l'épisode de la pandémie.

Euler Hermès prévoit une reprise en V

Des prévisions qui incitent à l'optimisme? La tendance économique mondiale actuelle, qui devrait s'accentuer en mai et juin, présente en effet un « effet de rattrapage assez fort », estime Ana Boata, responsable des recherches macroéconomiques chez Euler Hermès France, spécialiste de l'assurance-crédit. Le 27 mai, celui-ci présentait son Baromètre de l'export 2021, livrant également une analyse de la conjoncture économique. Bonne nouvelle, d'après ces experts, celle-ci semble augurer d'une reprise en « V », et non en « K » (une reprise qui se répartirait en une croissance forte pour des secteurs boostés par la crise, et une dégringolade pour les autres). Au total, Euler Hermès prévoit une croissance mondiale de 5,4% en 2021, et 4% en 2022. Cette reprise n'est pas également répartie dans le monde : elle dépend, en effet, de plusieurs paramètres, lesquels évoluent différemment selon les zones géographiques. En particulier, elle « est déterminée par la rapidité de vaccination, or, certains pays avancent plus vite, comme les USA et le Royaume-Uni. Et l'Europe occidentale rattrape son retard », note Ana Boata. Ailleurs dans le monde, et en Asie, en particulier, la situation est très variée, avec des pays comme la Chine, où l'épidémie est contrôlée, et d'autres, à l'image de l'Inde, submergée.

Autre paramètre de la reprise, les « stimulus » étatiques, qui ne sont pas coordonnés et d'ampleur inégale, ceux américain et chinois étant particulièrement massifs. Au global, toutefois, « nous assistons à l'une des plus fortes reprises économiques des 40 dernières années », note Ana Boata. Les effets s'en feront sentir à court et moyen terme. Les États-Unis, qui connaissent déjà une forte croissance, devraient retrouver leur niveau d'avant crise avant les autres, dès l'été 2021, et même le dépasser rapidement. Ce qui n'est pas le cas de L'Europe, laquelle devrait rester en deçà de son niveau d'avant crise, même en 2022.

Autre constat, celui d'une dynamique forte de l'investissement, pour 2021 et 2022. A l'origine de cette tendance, « les interventions étatiques (…) ont donné des liquidités, renforcé la trésorerie des entreprises », analyse Ana Boata . C'est le cas aux USA, mais aussi en France et au Royaume-Uni. Ce pays a d'ailleurs déjà pris des mesures supplémentaires en ce sens pour préparer la relance (nouveaux financements, et avantages fiscaux pour favoriser l'investissement). « C'est une bonne nouvelle, car les banques prennent des précautions pour prêter, notamment pour les besoins en fonds de roulement », prévient Ana Boata. La situation est moins favorable dans d'autres pays comme l'Italie, l'Espagne ou encore la Belgique.

Toutefois, cette reprise globale ne se fera pas sans heurts, notamment dans les modalités du commerce mondial. Déjà, portée par la demande des États-Unis, le secteur des transports et des containers connaît une forte pression, laquelle se traduit par une tension sur les prix. Et celle-ci devrait s'accentuer encore, avec la reprise européenne. Quant aux goulots d'étranglement qui se sont formés dans les chaînes d'approvisionnement en 2020, entraînant surcoûts et délais, ils ne devraient pas se résorber avant la fin de cette année.

France : « La crise est plutôt derrière nous »

Pour la France, « la crise est plutôt derrière nous », estime Selin Ozyurt, économiste senior chez Euler Hermès. En dépit d'une croissance un peu décevante ce premier trimestre, elle devrait connaître, elle aussi, un «effet rattrapage ». Un ensemble de paramètres semble l'indiquer, comme les bonnes performances de l'industrie ou du bâtiment, dès le mois d'avril. Autre paramètre encourageant, celui de la confiance des ménages et des entreprises. « Elle va être la clé du rebond de l'économie », juge Selin Ozyurt. De fait, d'après l'Insee, les ménages (qui ont épargné environ 160 milliards d'euros durant la pandémie) restent prudents, mais reprennent confiance. Du coté des entreprises,« le niveau de confiance est meilleur qu'en 2019 », note Selin Ozyurt. Déjà, « depuis la mi 2020, les entreprises ont investi pour s'adapter, par exemple, en terme de transition numérique ». Autres signes encore de reprise, « les carnets de commande commencent à se remplir dans le secteur manufacturier. Les effectifs augmentent, et on voit même des craintes de pénurie de main d’œuvre, dans certains secteurs comme le bâtiment et l'hôtellerie », pointe l'experte. Au total, « cela s'annonce comme une reprise classique, qui crée des frictions qui finissent par se résorber », estime-t-elle.

Pour 2021, Euler Hermès prévoit une croissance de l'ordre de 5,4%, en France. Mais l'export constituera-t-il l'une des voies de la reprise ? Avec la crise, le déficit commercial a atteint 15,4 milliards d'euros, au premier trimestre, en raison des importations d'énergie et des mauvaises performances de l'industrie automobile et aéronautique. « Il faudra attendre 2023 pour vraiment effacer les pertes liées à la crise du Covid, en matière d'exportations », prévient Selin Ozyurt. Toutefois, d'après le baromètre export d'Euler Hermès, toutes les entreprises exportatrices n'ont pas souffert de la crise : une sur trois a vu ses ventes à l’étranger croître en 2020. « Nous ne constatons pas de différence notable de performance selon la taille d'entreprise. La France s'est démarquée par une bonne distribution du soutien des aides étatiques entre les grandes entreprises et les PME, ce qui a permis à ces dernières de ne pas être touchées de manière plus sévère. En matière d'export, c'est le secteur qui a fait la différence », analyse Selin Ozyurt. Les entreprises qui ont accru leur exportations agissent dans les domaines boostés par la crise, comme les services aux entreprises, les biens d'équipement, le numérique…

Pour la suite, certains changements induits par la crise devraient se pérenniser. Car la pandémie a conduit huit exportateurs sur 10 à modifier leurs comportements, qu'il s'agisse de réorienter leur zone d'export, réviser leurs modes de transport ou revoir leurs relations avec leurs fournisseurs. Pour Euler Hermès, la pandémie pourrait marquer le passage de l'ère du « just in time » à celle du « just in case ». La crise a démontré qu'un système basé sur des délais tirés au maximum, des stocks réduits au minimum, et la dépendance à un fournisseur géographiquement lointain, choisi pour son prix, était loin d'être optimal, du point de vue de la gestion des risques...