Comment assurer l'autonomie stratégique de la France ?

Ukraine, Covid... Les crises actuelles rendent cruciaux les enjeux d'autonomie stratégique, longtemps cantonnés au statut de sujet de prospective. Ils supposent une politique publique de réindustrialisation et des facilitateurs pour inciter les entreprises à relocaliser.

De gauche à droite :  l’animateur, François Asselin, président de la CPME, Jean-Baptiste Lemoyne, ancien ministre délégué aux PME, Christian Saint-Étienne, économiste, professeur au Cnam, Arnaud Haefelin, président du groupe Gainerie 91
De gauche à droite : l’animateur, François Asselin, président de la CPME, Jean-Baptiste Lemoyne, ancien ministre délégué aux PME, Christian Saint-Étienne, économiste, professeur au Cnam, Arnaud Haefelin, président du groupe Gainerie 91

L'autonomie stratégique est aussi un sujet économique. Le 7 juin, à Paris, dans le cadre d'Impact PME, événement organisé par la CPME, un débat était consacré à « Autonomie stratégique, comment renforcer notre souveraineté économique à l'heure des crises ? ». Pendant 20 ans, l'Europe, et en particulier la France, qui s'est engagée dans la voie de la désindustrialisation, ont fait preuve de cécité, d'après Christian Saint-Étienne, économiste, professeur au Cnam : « Nous vivions dans l'illusion d'un monde fongible dans lequel, lorsque l'on paie, on trouve toujours une offre. Avec le Covid, la guerre économique entre Trump et la Chine et le conflit en Ukraine, tout cela a volé en éclats». Outre-Atlantique, en revanche, le Pentagone compte, traditionnellement parmi ses missions, celle de s'assurer qu'une base industrielle soit en mesure de résister en cas de guerre. Aujourd'hui, les Américains ont défini six secteurs vitaux : la défense, la finance, l'agroalimentaire, la santé avec la pharmacie et la chimie, l'énergie et le numérique. « Par exemple, dans le cadre du conflit avec la Chine, le pays a transformé sa politique concernant les microprocesseurs. Le programme de Joe Biden contenait un dispositif qui a été voté immédiatement : 50 milliards de dollars pour réintégrer la production aux USA », illustre l’économiste. Et au delà de la guerre en Ukraine, c'est précisément cette confrontation entre les USA et la Chine qui impose à l'Europe de réagir fortement. « Il faut arrêter de jouer le rôle de ballast pour le bateau américain, ce qui passe par une autonomie stratégique », estime Christian Saint-Étienne. Il en existe déjà quelques bases, juge Jean-Baptiste Lemoyne, ancien ministre délégué aux PME : « Il y a dix ans, l'autonomie stratégique était un sujet de débat sur la prospective. Mais depuis, dans son discours de la Sorbonne, Emmanuel Macron insistait sur la notion de souveraineté européenne », rappelle-t-il. Concrètement, l'Union Européenne est, par exemple, dotée d'un dispositif de filtre des investisseurs étrangers dans les secteurs stratégiques. En termes d'autonomie stratégique, « l' Europe ne met pas le paquet, mais elle progresse », estime pour sa part Christian Saint-Étienne, évoquant le plan de Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, qui prévoit un accroissement de la part de la production de l'Europe dans le marché des microprocesseurs (de 9 à 20%, d'ici 2030 ).

« zones de réindustrialisation », livrées clé en main

Car l'autonomie stratégique passe par une réindustrialisation. A ce titre, tout n'est pas noir : la France figure toujours en tête des destinations privilégiées des investissement étrangers en Europe, rappelle Jean-Baptiste Lemoyne. Mais pour Christian Saint-Étienne, il faut une véritable politique publique de réindustrialisation, par filière. Le chercheur préconise la mise en place d'un comité stratégique et la définition de trois domaines sur lesquels concentrer les efforts : le numérique, l'énergie et l'industrie de la défense. Dans le détail, « nous devons également mener une réflexion sur la mobilisation du territoire, et sur l'organisation des métropoles du futur. Car nous avons aussi des problèmes de logement : les salariés ne trouvent pas de logements près des usines que l'on veut construire », souligne Christian Saint-Étienne.

Autre préconisation, une agence nationale foncière serait chargée de développer plusieurs centaines de « zones de réindustrialisation », livrées clé en main aux entreprises : fouilles archéologiques, dépollution... auraient déjà été réalisées. L'idée séduit Arnaud Haefelin, président du groupe Gainerie 91, qui réalise des packagings dans ses quatre usines. Lui même a élargi son site de production en France, sous l’impulsion de ses donneurs d'ordre – le luxe- lesquels exigent des productions proches de leurs lieux de distribution, pour souscrire aux critères de la RSE. « Dans le département 91 [Essonne], il est extrêmement difficile de trouver des terrains. J'ai dû aller plus loin pour trouver 10 000 m2. Que les collectivités puissent acquérir des terrains et les mettre à disposition des industriels à des tarifs raisonnables, je suis pour » !

En revanche, attention à ne pas confondre réindustrialisation et relocalisation « qui ne peut être décidée que par les entreprises », pointe Christian Saint-Étienne. A ce titre, la CPME propose la création d'un crédit impôt relocalisation, sur le modèle du crédit impôt recherche. Pour être compétitive « lorsqu'une entreprise veut relocaliser, elle a besoin d'investir beaucoup dans la modernisation et la robotisation de son outil de production. Pour une PME, ce n'est pas facile », explique François Asselin, président de la CPME.