Au bonheur des HLM

Les banlieues populaires n’ont pas toujours été des repoussoirs urbains. Dans les années 1960, les grands ensembles à peine sortis de terre suscitaient même l’enthousiasme, si l’on se fie aux cartes postales d’époque rassemblées dans un ouvrage par le sociologue Renaud Epstein.

Une cité de Nanterre
Une cité de Nanterre

Des tours en béton gris-beige de dix étages, une architecture fonctionnaliste, des fenêtres uniformes dont certaines se distinguent des autres par une touche de couleur, des modèles automobiles démodés, des arbres bien alignés. Et tout cela au milieu de vertes prairies où paissent encore les vaches. Voici la riante image des banlieues populaires que présente le sociologue Renaud Epstein dans l’ouvrage On est bien arrivés (Editions Le nouvel Attila), paru au début de cette année. En 130 pages, l’auteur a sélectionné une centaine de cartes postales représentant, dans les années 1950 et 1960, ces grands ensembles. Presque aucun humain ne figure sur ces vues. Et pour cause, il s’agit de « paysages de carte postale ». Or, écrit-il, « l’absence humaine fait partie des principes de composition des cartes postales », comme les panoramas montagnards ou les vues maritimes.

Renaud Epstein ne présente ici qu’une petite partie de sa collection, entamée en 1994. Les cités HLM sont appelées, dans la conversation courante, « banlieues défavorisées », « barres et tours », « cités ouvrières », « habitat social », « banlieues chaudes », voire « quartiers » tout court, comme si ce seul mot suffisait à définir une architecture datée et une population reléguée.

Cet urbanisme-là n’est plus à la mode. Les grands ensembles font figure de quartiers dégradés, marqués par la pauvreté, le chômage, l’insécurité, le manque d’équipements et de services publics. Le sociologue dénonce la « petite musique pernicieuse, dénonçant le supposé traitement de faveur dont bénéficieraient les résidents des quartiers visés par la politique de la ville, majoritairement immigrés ou descendants d’immigrés, qui auraient pour contrepoint l’abandon d’une ‘France périphérique’ aux contours flous mais dont la couleur est claire ».

Construire, construire, construire

L’histoire des HLM avait pourtant bien commencé. Dans les décennies d’après-guerre, les villes de France manquaient cruellement de logements, en raison de l’exode rural, des bombardements, puis de l’arrivée de nouvelles populations, rapatriés d’Afrique du Nord et travailleurs immigrés. Le confort urbain demeurait sommaire : « en 1948, la moitié des logements n’ont pas l’eau courante, les trois quarts sont sans toilettes », rappelle Renaud Epstein. Lors d’une vague de froid spectaculaire, l’abbé Pierre dénonçait les taudis et bidonvilles.

La réponse de l’Etat n’avait pas attendu l’hiver 1954 : construire, construire, construire. Les cartes postales donnent à voir « un aperçu saisissant des opérations d’aménagement urbain qui ont durablement transformé le paysage des banlieues françaises », écrit l’auteur. Il ne s’agissait pas seulement de loger des travailleurs. Les « élites planificatrices » portent « un projet de modernisation nationale », assure-t-il.

En outre, « bien qu’ils partagent des caractéristiques communes, qui les rendent immédiatement reconnaissables dans l’espace urbain, tous les grands ensembles ne se ressemblent pas », écrit Renaud Epstein. Cette diversité saute aux yeux lorsqu’on consulte la série de cartes postales. Aux tours bien droites de certaines cités répondent les « choux » de Créteil (Val-de-Marne), reconnaissables à leurs balcons arrondis, ou des immeubles à l’allure de damier à Béziers (Hérault).

Certaines cités des grandes agglomérations ont acquis une réputation nationale : les « 4 000 » à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), la « Villeneuve » à Grenoble, les « Minguettes » à Vénissieux (Rhône). Mais l’édification de logements sociaux s’est répandue partout, jusque dans le centre-ville de Tours ou du Havre, dans les bassins miniers lorrains, autour de petites villes ou à Mourenx (Pyrénées-Atlantiques), pour loger les travailleurs du gisement de gaz de Lacq.

L’ouvrage met aussi en valeur la fonction qu’exerçait la carte postale, à une époque où le téléphone portable n’existait pas, et où le téléphone fixe était rare dans les quartiers populaires. Au dos des cartes, ont peut lire des échanges qui, de nos jours, feraient l’objet de SMS : « ici, c’est notre balcon », « nous viendrons par le train samedi prochain », ou « on est bien arrivés », qui a donné son titre au livre. Ces témoignages racontent les jours heureux. « On est frappé par l’absence de toute mention des maux auxquels sont désormais associées les cités de banlieue », observe Renaud Epstein.

Au cours du premier quinquennat Macron, les habitants des grands ensembles se sont moins fait remarquer que les lotissements pavillonnaires modestes, fiefs des « gilets jaunes ». Mais les difficultés à boucler les fins de mois, la baisse des aides au logement, le rejet du plan banlieues conçu par Jean-Louis Borloo ont contribué au très mauvais score, au premier tour, du président sortant dans ces quartiers.

Toutefois, le 24 avril, les habitants des grands ensembles, sans rancune, ont largement préféré Macron, tandis que la « France périphérique », pavillonnaire et périurbaine, votait Le Pen.