Economie

Le Medef alerte sur les effets structurels de la crise énergétique

Au delà de ses conséquences de court terme, la crise énergétique rebat fondamentalement les cartes de l’économie mondiale au détriment des entreprises françaises, alerte le Medef. Son président plaide pour une solution européenne et un réajustement des aides publiques nationales.

Geoffroy Roux de Bezieux , président du Medef et Christophe Beaux, directeur général
Geoffroy Roux de Bezieux , président du Medef et Christophe Beaux, directeur général

« C’est le sujet de préoccupation numéro un des entrepreneurs », pointe Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, Mouvement des entreprises de France. Le 16 novembre, il tenait une conférence de presse consacrée à la « crise énergétique, tensions sur toute la ligne », à Paris. Il s’agissait, en fait, d’un véritable cri d’alerte sur les conséquences de la flambée des prix de l’énergie sur le tissu économique. « Il existe un risque général de compétitivité pour l'Europe vis-à-vis de la Chine, de l'Asie et des États-Unis », estime le dirigeant patronal, qui constate un rapport de 1 à 10 entre le prix de l'énergie aux États-Unis et en France. C’est un véritable « changement de paradigme », d’après le Medef : en effet, le prix de l’énergie devient un important facteur de compétitivité qui joue en défaveur de l’Europe (et de la France). Le risque ? A moyen terme, une possible délocalisation des entreprises. « Ce sont des solutions qui prennent plusieurs mois à être élaborées, mais ces phénomènes risquent de se produire », prévient Geoffroy Roux de Bézieux. Déjà, il constate des « signaux faibles » qui vont en ce sens. A l’image des verriers qui commencent à voir arriver en France les produits de compétiteurs chinois dont les prix deviennent plus compétitifs, en raison de la hausse des prix de l’énergie en France. Et pour le Medef, l’échelle européenne est la plus pertinente pour élaborer des solutions à la crise.

A ce niveau, « la bonne solution réside dans le fait de repenser les règles du marché » de l’énergie, juge Geoffroy Roux de Bézieux. Plusieurs options pourraient être explorées, dont le mécanisme mis en place dans la péninsule ibérique qui permet de découpler les prix de l'électricité de ceux du gaz. Las, pour l’heure, l’Union Européenne est loin d’avoir trouvé une position commune. A rebours, chaque pays adopte ses propres mesures pour faire face à la crise de l’énergie. En particulier, France, Italie et Allemagne ont mis sur pied des plans de soutien à leurs économies. L’ampleur de celui de Bonn (124 milliards d’euros), qui n’a officiellement pas reçu l’approbation de Bruxelles, fait polémique. « On ne comprend pas pourquoi les grandes entreprises allemandes bénéficient d'autant d'aides, qui leur permettent de bénéficier d'un prix de l'électricité plafonné à 130 euros par MWh, alors qu'en France on nous dit qu'on ne peut avoir droit à un tel système (…). Je ne peux pas imaginer que la Commission européenne laisse perdurer cela », pointe Geoffroy Roux de Bézieux.

Au niveau national, le Medef plaide pour des « ajustements opérationnels » des mesures d’aides déjà prises par le gouvernement. En effet, les conséquences de la flambée des prix se font déjà lourdement sentir. « Cela peut engendrer un recul de l’activité, car les entreprises peuvent choisir de subir le poids de la facture d’énergie en mettant en danger leur compte d’exploitation, ou alors réduire la voilure en matière de production », explique Christophe Beaux, directeur général du Medef. Les situations sont très diverses selon la nature de l’activité de l’entreprise, plus ou moins énergivore, celles industrielles étant les plus impactées.

Une économie « de casino »

Mais le modèle économique compte aussi : « pour certaines professions, l’énergie représente un pourcentage limité de leur chiffre d’affaires, mais comme leur rentabilité est plus faible, l’impact de l’augmentation de ces coûts est plus rapide », pointe Geoffroy Roux de Bézieux. C’est le cas notamment des restaurateurs. Laurent Ceccarini, propriétaire de deux restaurants à Marseille (4,2 millions d’euros de chiffre d’affaires et 50 salariés) en témoignait lors d’une vidéo diffusée au cours de la conférence de presse. Il prévoit que la part de sa facture en énergie dans son chiffre d’affaires passera de 1,2 %, à 3, voire 4 %. Résultat, « la première année, je peux gérer car j’ai de la réserve grâce au coup de boost post Covid. Sur le moyen terme, cela m’inquiète fortement », explique Laurent Ceccarini. Autre témoignage, celui de Patrick Coquelet, PDG de Polytechs, une entreprise énergo-intensive (2500 kVa de puissance installée), sise à Cany-Barville en Normandie. Pour 2022, il s’attend à un quasi-doublement de ses frais d’énergie qui s’élevaient à 1,2 million d’euros en 2021. « Le gros problème, c’est qu’il est quasiment impossible de répercuter une hausse aussi importante auprès des clients. Cette situation est de nature à affaiblir Polytechs. Les aides de l’État sont les bienvenues, mais je ne pense pas qu’elles changent significativement l’avenir des entreprises », juge Patrick Coquelet.

Pour ce chef d’entreprise, nous sommes rentrés dans l’ère d’une « économie casino » Cette dernière est le fruit de la conjonction de plusieurs dynamiques qui se sont renforcées. Tout a commencé vers la fin de l’année 2021, avec un « double choc » rappelle Christophe Beaux. A ce moment, la hausse des prix a commencé sur les marchés spot (de gros, de court terme). Importante, cette augmentation a aussi eu pour effet de mettre fin à une longue période de stabilité. Ensuite, les prix « futurs » de l’énergie, ceux proposés aux entreprises à un, deux ou trois ans, se sont envolés au moment où les sociétés devaient souscrire un contrat avec leur fournisseur. Le gaz naturel a suivi une tendance similaire. Mais pour Christophe Beaux, « ces évolutions ne sont pas seulement liées à la crise géopolitique actuelle ». En effet, rappelle-t-il, dès l’automne 2021, la forte demande d’énergie, liée à la puissante reprise en sortie de Covid, a induit des tensions sur les approvisionnements en gaz. Les prix de ce dernier ont explosé : + 360 % entre septembre 2021 et 2022. La guerre en Ukraine a ensuite engendré un « choc d’offre négatif » sur le marché de l’énergie, du fait des sanctions européennes sur les hydrocarbures russes et de la fermeture du robinet par le Kremlin plus rapide qu’escompté. Et la situation déjà tendue sur le marché de l’énergie a été aggravée par les phénomènes spéculatifs… Enfin, pour la France, s’ajoute une autre difficulté : l’état du parc nucléaire avec ses 24 réacteurs à l’arrêt et un calendrier de remise en état dont le caractère réaliste ne pourra être confirmée que par les faits.