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Le succès des trains Ouigo, low-cost de la SNCF

110 millions de voyages ont été effectués depuis 2013 dans les rames bleu et rose aux tarifs avantageux. La branche est désormais « à l’équilibre » et la SNCF espère convaincre de nouveaux adeptes en multipliant les destinations.

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« C’est un succès ! » Pour la SNCF, les bonnes nouvelles ne sont pas si fréquentes. Alors que les journées de grèves, depuis le début de l’année, ont découragé une partie des voyageurs et que les promesses budgétaires de l’Etat tardent à se concrétiser, le dixième anniversaire de la marque low-cost Ouigo est une occasion à ne pas manquer. Depuis avril 2013, date du lancement des premières rames, 110 millions de voyages ont été effectués dans les trains relookés en bleu ciel et rose bonbon, qui promettent des tarifs avantageux et des destinations touristiques.

Certes, les teintes choisies par la compagnie ferroviaire pour décorer ses trains à bas coût ne satisfont pas tout le monde. A l’intérieur des voitures, « les couleurs sont criardes, ce qui est souvent le choix des marques discount. Pour une raison que j’ignore, la sobriété visuelle semble réservée aux riches », ironise Juliette Duboc, 34 ans, qui voyage souvent entre Paris et Marseille. Les passagers se sont aussi habitués à arriver à la gare une demi-heure avant le départ, à se limiter à un seul bagage et à apporter leur propre repas, les rames Ouigo étant dépourvues de voiture-bar. Enfin, « les usagers sont encore moins civiques que dans les trains classiques », constate la voyageuse.

Mais qu’importe, la formule semble plaire. Entre 2013 et 2020, 50 millions de voyages avaient été comptabilisés. Entre 2020 et 2022 se sont ajoutés 50 millions de trajets, et 10 millions de plus en 2023. Le nombre de destinations ne cesse de croître, pour dépasser 50 gares en ce printemps. Certains voyageurs n’ont, il faut le souligner, pas le choix. L’arrivée des Ouigo se traduit, dans certaines villes, par la suppression de quelques TGV classiques.

Dès lors, le taux de remplissage des rames « atteint 80% en semaine, 90% le week-end », se félicite Alain Krakovitch, directeur des TGV et Intercités à la SNCF. Auteur d’un ouvrage vantant le transport ferroviaire (Métropolitrain, Débats publics, 2019), le dirigeant indique que, selon des études internes, « un voyageur sur deux n’aurait pas pris le train sans Ouigo ». Toujours selon ces études, « un cinquième n’aurait pas voyagé du tout, et un tiers aurait choisi un transport plus polluant », la voiture ou l’avion. En outre, soutient-il, « Ouigo n’a pas cannibalisé » le TGV classique, puisque les trains low-cost « apportent 20% de voyageurs en plus au ferroviaire ». Malgré l’inflation, les prix des billets restent raisonnables. Certes, on trouve parfois des Paris-Nice à 99 euros, mais, compte tenu de la complexité des formules et du « bouclier tarifaire » mis en place par la SNCF, « 50% des voyageurs paient moins de 25 euros », assure Alain Krakovitch.

Le secret du bas coût, dans le ferroviaire comme dans l’aérien, repose notamment sur une rotation plus fréquente du matériel. Ainsi, les 38 rames Ouigo « effectuent 700 000 kilomètres par an, deux fois plus que les TGV classiques », précise la SNCF. La maintenance est organisée de nuit, les passages par les gares écourtés, et la capacité des rames augmentée. Grâce à des sièges resserrés, la suppression des espaces de restauration ou dédiés aux bagages, un train Ouigo peut accueillir jusqu’à 1 268 personnes, 25% de plus qu’un TGV normal. En revanche, malgré les nombreuses options proposées aux voyageurs, comme les bagages supplémentaires, l’échange de billets ou la connexion au wifi, la SNCF assure que ces suppléments « ne représentent que 6% du chiffre d’affaires », contre « 30% » dans le low-cost aérien.

« Le low-cost écoresponsable »

En dix ans, le service s’est renforcé et modifié. En février 2013, lors de la présentation du concept à la presse, Guillaume Pepy, alors PDG de la SNCF, le définissait comme « un TGV, mais pas pour les Parisiens ». Les rames bleu et rose desservaient alors principalement les gares TGV de périphérie, Marne-la-Vallée, Massy ou, à Lyon, celle de l’aéroport Saint-Exupéry. La SNCF visait une nouvelle clientèle, des familles vivant en grande couronne, qui préfère la voiture. Il s’agissait aussi de concurrencer les « cars Macron », de longue distance. La donne a changé en 2017, avec le lancement de rames Ouigo de Paris-Montparnasse et Paris-Gare de Lyon, lorsque la compagnie ferroviaire a estimé que la clientèle d’affaires ne risquait pas de se tourner vers le low-cost. Aujourd’hui, les Franciliens représentent 35% de la clientèle de Ouigo, et les habitants des autres régions, « la province », comme on dit à Paris, 65%.

Le succès de Ouigo intervient dans un contexte de « low-cost décomplexé », assure Jérôme Laffon, le directeur de la marque. Ainsi, selon une enquête réalisée pour un organisme de crédit, la moitié des adeptes du bas coût « achètent par choix », et non par contrainte. De même, 70% d’entre eux « considèrent que ce n’est pas dévalorisant ». Toutefois, le ferroviaire low-cost présente une particularité par rapport aux produits achetés chez les hard-discounters, ou les vols bradés par l’industrie aérienne. Selon Jérôme Laffon, le consommateur n’est pas confronté « à un dilemme entre prix bas et l’environnement, car le train est naturellement écoresponsable ».

La SNCF espère renforcer sa formule. D’ici 2025, de nouvelles rames seront dévolues au bas coût. « A mi-vie, 15-20 ans environ, les rames sont complètement démontées, y compris les boggies, la circulation de l’eau ou de l’électricité. Nous en profiterons pour en convertir une douzaine en rames Ouigo », explique Alain Krakovitch. A cette occasion, un « espace de convivialité » sera aménagé, sans toutefois proposer de restauration. Chaque rame accueillera huit places pour des vélos non démontés, ce qui devrait ravir les cyclotouristes.