La santé mentale, sujet encore tabou dans les entreprises

Il existe une forte attente des salariés en matière d'information et de sensibilisation autour de la santé mentale. Pourtant, moins d’un tiers des entreprises aurait mis en place des ressources pour favoriser le bien-être de leurs collaborateurs.

La santé mentale, sujet encore tabou dans les entreprises

76% des salariés du privé estiment que l'employeur est le garant de la santé mentale de ses collaborateurs. Au-delà de leur première responsabilité de bonne gestion financière, les entreprises doivent se préoccuper d’offrir un lieu de travail propice au bien-être. C’est l’avis partagé par 59% des salariés. La responsabilité de la santé mentale et du bien-être des salariés est bel et bien assignée à l'entreprise.

Carence de dispositifs de soutien

Pourtant, seules 31% d’entre elles organisent des actions pour favoriser le bien-être au travail. Dans les plus grandes entreprises (plus de 200 collaborateurs), le chiffre grimpe à 40%. Parmi les principales mesures prises figurent, notamment, la mise en place d'une ligne téléphonique (42%), ou encore des formations de secourisme en santé mentale (35%). Si la majorité des dispositifs mis en place tournent autour de la gestion de crise, les salariés attendent d’abord des mesures de prévention et de veille et un dispositif d’encadrement qui favorise le bien-être. « Les entreprises sont démunies et vierges de dispositifs sur le sujet. C’est une ressource relativement en devenir des entreprises », signale Didier Meillerand, fondateur du Psychodon. C’est l’un des résultats du sondage OpinionWay « la santé mentale en entreprise »* réalisé pour Psychodon. L’association, qui vise à sensibiliser le plus grand nombre autour des maladies psychiques, a interrogé plus de 1 000 salariés, pour dresser un panorama de la situation de la santé mentale en entreprise, dans un contexte de crise sanitaire où les salariés sont plus que jamais fragilisés.

La désaffection des entreprises sur le sujet est nuancé par Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du Travail : « les entreprises ne sont pas si démunies. D’autant qu’il n’y pas besoin d’être une grande entreprise pour créer un collectif de travail ou donner du sens ». Pour Stéphane Roussel, président du réseau « Les entreprises pour la cité » (LEPC) et directeur général du groupe Vivendi, si le mal-être d’un individu résulte d’une combinaison entre sa vie privée et sa vie professionnelle et que les entreprises ne sont pas les seules responsables, ces dernières doivent être « un lieu d’accueil et de soutien pour les salariés qui doivent traiter de ces sujets. Elles se doivent de créer une veille d’écoute en continu, et pas seulement pendant les périodes de transformation de l’entreprise, avec, à minima, des numéros verts et des psychologues en ligne ».

Gestion maladroite du sujet

« D’un point de vue socioculturel, le sujet de la santé mentale a longtemps été maltraité car c’est un sujet tabou, honteux qui fait porter une culpabilité à la personne concernée », reconnaît Luc Balleroy, directeur général d'OpinionWay. Ainsi, 58% des salariés ne communiqueraient pas sur leur maladie à leur employeur s'ils y étaient confrontés, car leur management serait gêné face à la situation (pour 73% d’entre eux) et ne saurait pas comment la gérer. D’où la nécessité de mettre en place des systèmes d’écoute pour créer un climat propice à la libération de la parole, avec des oreilles ouvertes.

L’OMS définit la santé mentale comme étant « un état de complet bien-être physique, mental et social, et qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Pour Philippe d'Ornano, président du groupe de cosmétiques Sisley, et co-président du METI (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire), les maladies mentales sont encore « très méconnues et mal évaluées ; elles font peur. » Pourtant, un Français sur quatre souffrirait d’une maladie psychique au cours de sa vie. Seul un quart des salariés estime être suffisamment informés sur les différentes maladies mentales et psychiques et 22% considèrent l’être pour réagir face à une attaque panique ou une crise suicidaire de l’un de ses collègues. Deux tiers se montrent intéressés pour en apprendre davantage pour sensibiliser leurs collaborateurs, les accompagner et leur apporter les bons outils.

Heureuse ou mauvaise nouvelle, la crise, les confinements multiples et l’isolement contraint de certains salariés jouent à la fois un rôle d’accélérateur et de révélateur de la prise de conscience du sujet et des risques, et donnent l’opportunité aux entreprises de se saisir du sujet. 72% des répondants considèrent que la place de la santé mentale dans les entreprises à l’issue de la crise sanitaire sera plus importante qu’avant. « Il faut sensibiliser, informer et former les managers à l’accompagnement et à la prévention de la santé des salariés, note Laurent Pietraszewski. Pour autant, les managers ne sont pas des médecins, mais il faut simplement les outiller dans la détection, pour qu’ils puissent ensuite passer la main. » Le niveau d’information sur les risques ainsi que la présence de ressources dans l’entreprise agiraient comme désinhibiteurs des hésitations des salariés. Ainsi, environ deux tiers des répondants se disent prêts à annoncer leur maladie au sein des entreprises présentant des ressources et quatre salariés sur dix disposant de ressources se sentent suffisamment informés pour agir en cas d’attaque panique, contre seulement deux sur 10 pour l’ensemble des salariés.

« Un défi complexifié par la crise »

Pour Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, la santé mentale est « un défi complexifié par la crise ».« Les entreprises doivent se doter des outils de détection, de dépistage et de prise en charge dans la durée. Ce n’est pas nécessairement vers les managers que les collaborateurs vont se tourner. Mais, il faut que l’entreprise soit en capacité d’identifier ou de faire identifier quand un collaborateur ne va pas bien, et qu’il puisse en parler. Elles doivent mettre en place les premiers secours en maladie mentale, au même titre qu’elles l’ont fait avec les gestes de première urgence, en cas d’accident », souligne-t-il. Le jeu en vaut la chandelle car c’est à la fois « une préoccupation humaine et économique, la bonne santé mentale dans l’entreprise étant vecteur de performance », conclut Laurent Pietraszewski.

* Etude quantitative réalisée auprès d'un échantillon de 1004 salariés français du secteur privé du 22 mars au 2 avril 2021.

                                                                                                                  Charlotte DE SAINTIGNON