Des métiers de plus en plus vulnérables face à la crise

Des métiers de plus en plus vulnérables face à la crise

La crise a renforcé des vulnérabilités existantes et en a généré de nouvelles. Pour connaître les travailleurs les plus fragilisés, France Stratégie a établi une typologie inédite des salariés dans la crise, en fonction de trois types de vulnérabilité : économique, en conditions de vie et en conditions de travail. Présentation des cinq catégories de métiers et de leur degré de vulnérabilité.

«La vulnérabilité économique des métiers s’est aggravée pendant la crise », entame Cécile Jolly, expert à France Stratégie, organisme de réflexion du gouvernement, et coauteur de l’étude « les métiers au temps du corona ». Celle-ci met en avant cinq catégories de métiers, selon leur vulnérabilité en termes économiques, en conditions de vie (risque financier, conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, type d’habitat, etc) et en conditions de travail (contact avec le public, charge mentale, pénibilité physique, etc.).

Première catégorie, les cadres. «C’est en termes de conditions de travail que la crise a accentué leur vulnérabilité. Celles-ci, se caractérisant habituellement par une forte pression, subissent une dégradation de l’équilibre vie privée et vie professionnelle, par le biais d’outils numériques, soit parce qu’ils ne quittent jamais leur poste, soit parce qu’ils vérifient en permanence leurs mails sur leur téléphone. Ils courent ainsi le risque de surcharge de travail et d’hyperconnectivité. Il ont été très sollicités pour adapter l’organisation des entreprises aux mesures du confinement et pour élaborer les modalités de reprise d’activité», expose Martin Rey, expert à France Stratégie et coauteur de l’étude. En tant que télétravailleurs, si leurs conditions de vie et de travail sont affectées par la crise, ils ne sont en revanche pas exposés directement au risque sanitaire et sont, pour le moment, à l’abri des vulnérabilités économiques.

Autre catégorie touchée d’une autre manière que les cadres, les professionnels en inactivité partielle qui ne peuvent exercer en télétravail. «Ils sont pour le moment à l’abri de risques économiques, grâce aux mesures d’activité partielle, mais risquent de souffrir d’éloignement de la sphère professionnelle et de la désocialisation dans le cadre du travail», reconnaît Martin Rey. Il s’agit essentiellement des professions intermédiaires et des employés qualifiés qui exercent des fonctions de support et d’encadrement, nécessitant un certain degré de présentiel.

Des vulnérables de toujours aux nouveaux vulnérables

Troisième catégorie, les «vulnérables de toujours», qui représentent 4,2 millions de personnes, avec notamment des ouvriers et artisans de l’industrie ou du bâtiment traditionnellement confrontés à des conditions de vie et de travail difficiles. «Lors des crises ce sont souvent ces métiers qui sont les premiers impactés. Ce sont les plus vulnérables de cette crise actuelle», note Jean Flamand, coauteur de l’étude. L’auteur évoque trois raisons à cette vulnérabilité : le fait de travailler dans des secteurs particulièrement exposés, l’impossibilité pour eux de télétravailler et des statuts d’emploi souvent précaires, avec un sur cinq qui exerce en CDD ou en intérim. Même s’ils ont bénéficié de l’activité partielle pour la plupart, «celle-ci ne fait que diminuer des revenus déjà très faibles», ajoute Jean Flamand. Cette fragilité économique se cumule avec une vulnérabilité physique –conditions de travail pénibles, travail à la chaîne, port de charges lourdes.

Ces vulnérables de toujours ont été rejoints par les «nouveaux vulnérables», qui représentent 4,3 millions d’emplois. Il s’agit pour l’essentiel des métiers du secteur cafés-hôtellerie-restauration (CHR), des coiffeurs, des professions artistiques et sportives ou du transport. «Ces derniers ont été durement touchés car leur activité impose des rassemblements qui sont incompatibles avec la maîtrise de la pandémie, explique Cécile Jolly. Si une réouverture progressive est prévue, subsiste une crainte générale de la contamination qui va limiter leur clientèle».

Heureusement, ces métiers bénéficient pour la plupart des mesures de l’activité partielle, même après le 1er juin, à taux plein, mais cela reste insuffisant au vu des pertes qu’ils vont devoir supporter. D’autres, comme les patrons des CHR n’en bénéficient pas, mais peuvent solliciter le fonds de solidarité pour les indépendants. Nombre de ces métiers sont en contrats courts type CDD d’usage qui ne seront pas renouvelés tant que l’activité ne reprendra pas (31 % de contrats intermittents ou d’indépendants en solo). Dans certains secteurs, comme le transport aérien, des licenciements sont déjà annoncés. En outre, ces professionnels ont souvent des rémunérations très en-deçà du salaire médian et, «l’on peut l’imaginer, peu d’épargne pour envisager l’avenir sereinement». Si certains ont maintenu une petite activité réduite via la livraison de repas, «la durée de la crise risque, néanmoins, de les mettre en difficulté de trésorerie ou d’entraîner des faillites », poursuit Cécile Jolly, d’autant que l’activité touristique va être réduite, avec les mesures de restriction de mobilité : «Dans ces métiers, la vulnérabilité financière se double d’une incertitude sur l’avenir».

Une première ligne sur le front, très féminine

Dernière catégorie, les « métiers sur le front du covid-19 », qui exercent dans des secteurs dont l’activité a été maintenue ou jugée essentielle. Il s’agit principalement des métiers agricoles, de la santé, du soin, de l’alimentaire, de la propreté et la sécurité et de l’enseignement. Ils représentent 10,4 millions de personnes. Les trois quarts d’entre eux font face aux usagers, clients ou patients, et sont donc exposés directement au risque infectieux. Deuxième trait caractéristique de ces professionnels : l’intensification de leur rythme de travail pour répondre à l’urgence sanitaire et aux besoins de première nécessité. Le travail en horaires atypiques y est plus fréquent et l’intensité de la charge mentale très forte, avec un travail souvent sous pression. Des contraintes qui renforcent la difficulté à concilier travail et garde d’enfants. «L’apport de l’étude réalisée par France Stratégie permet de mesurer et d’objectiver le fait que cette première ligne est très féminine : deux professionnels sur trois sur le front sont des femmes», souligne Jean Flamand.

Charlotte de SAINTIGNON